Le temps des adieux
pour la porta Capena, nous achetâmes des petits pains que nous mangeâmes tout en marchant.
Heureusement, la vue d’un cadavre enlevait toujours à Petronius toute envie de parler. Et devant mon mutisme, il dut conclure que c’était devenu pareil pour moi.
Nous longeâmes le côté nord du Circus Maximus avant de passer sous l’aqueduc appien. Quand nous émergeâmes de son ombre, les marchands s’activaient déjà à ouvrir leurs boutiques ou à laver le trottoir. Il existait dans ce coin quelques rues résidentielles, mais elles voisinaient avec des ruelles nettement moins engageantes. Et l’endroit où nous nous trouvions dépendait de plusieurs juridictions. La première région, dans laquelle nous venions de pénétrer, était placée sous la surveillance de la cinquième cohorte, mais jouxtait la douzième région qui, elle, faisait partie de l’Aventin et dépendait de la quatrième cohorte. Nous étions également proches du quartier douteux abritant l’Académie de Platon, tombant dans la onzième région patrouillée par la sixième cohorte.
— Petro, demandai-je. Est-ce que le fait que trois différents groupes de vigiles soient responsables de ce triangle peut avoir un rapport avec la criminalité galopante ?
— Probablement.
Il m’était impossible de lui révéler que, d’après Rubella, certains vigiles étaient partie prenante de cette criminalité.
— Travaillez-vous étroitement ensemble ?
— Pas si on peut l’éviter, avoua-t-il.
— Pour une raison en particulier ?
J’espérais sincèrement qu’il pourrait m’en fournir une.
— J’ai assez de boulot comme ça, sans perdre de temps dans des opérations de coopération entre cohortes !
— J’ai l’impression que toutes les cohortes ont des caractères différents.
— Exact. La Cinquième est triste. Ceux de la Sixième sont des salauds, et la Quatrième, comme tu le sais, est composée de héros méconnus qui traitent les affaires avec maîtrise et efficacité.
Je souhaitais de tout mon cœur que ce seraient les conclusions de mon enquête concernant la Quatrième.
Avant de poser ma question suivante, je pris une profonde inspiration.
— Est-ce que Tibullinus et Arica acceptent des pots-de-vin ?
Sa réponse fut brève :
— Probablement.
Et son intonation me découragea de demander autre chose.
Lorsque nous approchâmes de la rue que nous cherchions, un personnage connu me héla :
— Marcus !
— Quintus ! On m’avait bien dit que tu étais rentré de Germanie. Je suis content de te voir. Petro, laisse-moi te présenter Camillus Justinus.
Justinus était le plus jeune frère d’Helena. Un jeune homme à l’allure juvénile âgé de vingt et quelques années. Il ne portait pas sa tenue militaire, mais une tunique d’un blanc immaculé et une toge drapée d’une façon tout à fait décontractée. La dernière fois que je l’avais rencontré, c’était au cours d’une mission effectuée pour le compte de Vespasien 4 . Justinus, affecté à l’armée du Rhin, m’avait assisté d’une manière très efficace et avec beaucoup de courage. J’avais appris son rappel à Rome où il était censé participer à la vie sociale des hautes sphères et finirait certainement par devenir sénateur à l’âge de vingt-cinq ans. En dépit de tout cela, je l’aimais beaucoup. Nous nous embrassâmes comme des frères. Puis je le taquinai un peu sur ses nouvelles occupations.
— C’est exact. On m’a fait revenir à la maison pour que je devienne un bon petit garçon et que j’assimile la méthode qui permet d’engranger des votes.
— T’inquiète pas. Le Sénat, c’est simple comme bonjour. Tout ce que tu dois apprendre à dire, c’est : « Par tous les dieux, quelle puanteur ! », à chaque fois que tu te trouves dans une foule. Entraîne-toi aussi à sourire et parler sans desserrer les dents au cas ou une des personnes présentes saurait lire sur les lèvres.
— J’ai encore quelques années devant moi, soupira Justinus, et pourtant… (Il laissa sa phrase en suspens puis, après un bref instant de silence, il changea de sujet :) Je suis content de te parler. Je crois que je suis amoureux d’une comédienne.
Je croisai le regard de Petro et nous poussâmes un grognement à l’unisson.
— Qu’est-ce qui peut pousser les jeunes à répéter toutes les bêtises des anciens ? demandai-je en continuant de regarder Petro qui hochait tristement la
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