Le Voleur de vent
et sans un mot. La Bourgogne livrée à
la France. L’unité du peuple forgée dans l’audacieuse victoire. La gloire pour
la couronne. Non, mille fois non, il ne pouvait être question de laisser le
prestige de Fontaine-Française à cet adolescent, même si justice et vérité l’eussent
ainsi exigé.
Le jeune Nissac avait ôté son superbe chapeau
à plumes et Henri quatrième grava en sa mémoire ce visage aux joues rouges, aux
yeux gris et rieurs, aux narines tour à tour pincées ou dilatées par l’effort, visage
ruisselant de sueur et éclaboussé de sang.
Nissac avait incliné vers le sol la royale
bannière espagnole en disant :
— Pour vous, Sire !…
Henri quatrième eût aimé la refuser, montrer
qu’il était le maître. Mais nul n’aurait compris pareil geste, ni ses hauts
seigneurs, ni ses officiers et soldats, ni même les prisonniers espagnols.
Henri quatrième saisit la bannière que lui
tendait Nissac et répondit d’une voix sans chaleur :
— En la charge, vous avez précédé le roi
de France !…
Le jeune homme cilla légèrement.
— Sire, tant j’étais persuadé que c’est
en la mort que mon devoir était de précéder Votre Majesté.
« Superbe réponse, noble et de grande
sincérité », songea le roi qui se sentit en l’obligation d’adopter ton
plus conciliant :
— C’est bien, Nissac. Vous fîtes là fort
bel ouvrage et pourriez être bientôt excellent colonel si vous n’aviez choisi
la marine. Allez vous reposer.
Le regard fugitif de Nissac signifia assez qu’il
avait compris mais, sentant qu’il crucifiait le roi, il n’insista pas et
détourna ses redoutables yeux gris.
Cependant, sitôt le jeune homme disparu, le
roi souffla à l’un de ses généraux :
— Faites que le jeune Nissac rejoigne son
bord au plus vite. Et veillez qu’il ne soit point question de lui en les
chroniques : à Fontaine-Française, c’est le roi et lui seul qui mena la
charge.
Ainsi fut-il fait. Et écrit.
Ils étaient quatre, un
sergent et trois hommes. Tous soldats vieillissants. Ainsi le sergent, Léonard
Poisleu. Celui-là était un ancien de la Ligue. Il n’en conservait point
excellent souvenir, se rappelant vaguement cet accord, en 1585, entre grands
seigneurs catholiques français et le roi d’Espagne qui portait à la
connaissance du peuple création de « La Sainte Ligue perpétuelle, offensive
et défensive ». Une belle machinerie qui inspirait crainte au point que
Henri troisième lui-même l’avait reconnue le 21 juillet 1588 quand on la nomma « Sainte
Ligue des Catholiques ».
Ces temps étaient aujourd’hui lointains et le
sergent Poisleu, ainsi que ses trois hommes, achevaient leur carrière militaire
en le service d’Urbain de Montmorency-Laval, marquis de Bois-Dauphin et
gouverneur d’Anjou. La place n’était point mauvaise et la tâche guère
harassante. Quelque jour, une sorcière dont il fallait se saisir afin qu’elle
fût jugée et brûlée. Tel autre jour, la chasse donnée à quelques déserteurs
violeurs, pillards et assassins quand ce n’était point la poursuite d’un mari
jaloux qui venait d’occire l’épouse infidèle et l’amant d’icelle.
Cependant, avec le flair qui vient aux vieux
renards ayant survécu aux guerres comme aux maladies, et sillonné les campagnes
en tous leurs recoins, le sergent Léonard Poisleu eut brusquement les sens en
éveil. Il arrêta sa monture, imité en cela par les trois autres, et tendit l’oreille.
Puis, le sourcil froncé :
— Ah çà, on dirait pleurs d’enfants…
Les autres hochèrent la tâte.
Le sergent enfonça ses talons en les flancs de
sa monture.
Vittorio Aldomontano,
dont le visage était caché par ample capuchon de sa robe de moine, vit en
grande contrariété arriver les quatre soldats d’Urbain de Montmorency-Laval.
C’est qu’il venait de loin, et n’était point
rendu : de beaucoup s’en fallait !
Comme s’il se plaçait en dehors de la
situation qui était la sienne en cet instant, il imagina spectacle qui allait s’offrir
aux quatre soldats.
Son impression ne fut point bonne.
De beaux chevaux, peut-être trop beaux, menés
par un moine qui dissimulait son visage et quatre hommes aux airs brutaux, aux
impressionnantes mâchoires et aux yeux fous. À quoi s’ajoutait une charrette
munie de barreaux, celle-là même qui avait servi à « Jaune » lorsqu’il
l’avait été soustraire à une exécution certaine.
Vittorio
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