L'envol du faucon
ministre, murmura Ivatt soudain impressionné. Où tout cela s'arrêtera-t-il ?
— Au trône de Siam, mon ami, si l'on en croit les dernières rumeurs. C'est censé être mon prochain objectif. » Il arbora un large sourire. « J'aurai certainement besoin de ton aide pour ça, Thomas. Et le poste de Barcalon deviendrait bien sûr vacant... Mais les bonnes nouvelles d'abord. » Phaulkon regarda Ivatt avec affection. « J'ai obtenu l'accord de Sa Majesté pour que tu rentres à Ayuthia. Tu es par conséquent relevé de ton poste à Golconde et tu travailleras sous mes ordres ici où je pourrai t'avoir à l'œil. Qui plus est, comme je savais que tu serais dévoré de jalousie en apprenant que j'avais été nommé pair de France, j'ai aussi recommandé à Sa Majesté de te promouvoir au rang de mandarin de deuxième classe. Cette mesure a été approuvée et tu auras bientôt droit à quatre mille marques de dignité, à quarante esclaves personnels et à une place d'honneur dans la salle d'audience royale. » Phaulkon marqua un temps pour observer les réactions du petit homme, puis ajouta avec un grand sourire : « En outre, ta promotion rendra moins embarrassant pour moi le fait d'être vu en public avec toi. »
Ivatt était sans voix. Il n'arrivait pas à discerner ce qui lui plaisait le plus, du mandarinat de deuxième classe qui allait le placer parmi le second groupe des quarante hommes les plus puissants du pays ou du fait qu'il pourrait désormais rester dans sa chère Ayuthia et travailler pour l'homme qu'il admirait le plus.
« Mais tu as l'air accablé, mon ami, observa Phaulkon. Est-ce à l'idée de devoir quitter Golconde ? As-tu formé une amitié intime avec ce diable d'Ali Beague ? »
Ivatt eut un rire amer. « Nous avons été un moment inséparables, Constant. En fait il m'a gardé dans une fosse avec un tigre, de peur que je puisse le quitter. »
Phaulkon observa attentivement Ivatt pour voir s'il plaisantait et comprit qu'il n'en était rien. « Je crois que tu as beaucoup à me raconter, reprit-il, le visage soudain sérieux. Asseyons-nous.
— Mais dis-moi d'abord, Constant, interrompit Ivatt en se laissant glisser en tailleur sur un coussin, comment va ma bien-aimée Sunida ? Soupire-t-elle toujours après moi ? Ou a-t-elle fini par se contenter d'un pis-aller ? » Les deux hommes étaient ensemble quand ils avaient rencontré Sunida pour la première fois à la cour du gouverneur de Ligor, dans le Sud, et c'était un des nombreux liens qui les unissaient.
« C'est elle qui m'a persuadé de te faire revenir,
Thomas. Elle m'a harcelé jusqu'à ce que je ne puisse plus supporter son expression peinée. » Il sourit. « Elle se porte à merveille. Elle est toujours aussi extraordinaire envers moi, et je bénis l'époque de la contrebande qui m'a conduit à Ligor. Elle est très occupée à apprendre le français et a fait de remarquables progrès malgré un accent siamois très prononcé mais tout à fait charmant.
— Et Maria ? »
Une ombre traversa le visage de Phaulkon. « Elle est toujours aussi loyale et aussi catholique qu'avant, répondit-il avec un enthousiasme beaucoup moins marqué que pour Sunida. Mais raconte-moi tout, Thomas. Je meurs de curiosité.
— L'offre que tu me fais de rester à Ayuthia ne peut pas mieux tomber, Constant. Tu ne peux pas savoir combien je t'en suis reconnaissant. »
Les deux hommes étaient assis l'un en face de l'autre sur des coussins. Ivatt lui raconta tout ce qui lui était arrivé : sa confrontation avec Coates et Ali Beague, ses discussions avec Elihu Yale, sa rencontre avec Davenport chez Samuel White, et pour finir sa fuite de Mergui.
Phaulkon écouta en silence en fronçant de temps en temps les sourcils mais sans jamais l'interrompre. Avant qu'Ivatt en eût terminé, toute trace d'humour s'était évanouie de son visage et une expression de détermination inflexible l'avait remplacée. Ivatt avait déjà vu cette expression. Il était content que Phaulkon et lui fussent du même côté.
« Alors, comme ça, l'autonomie et les biens mal acquis sont montés à la tête de Samuel ! grommela amèrement Phaulkon, et Eli Yale a pris conscience de sa chance de contrôler le golfe du Bengale. Ce sont tous les deux des hommes dangereux, Thomas. Yale est probablement le plus intelligent des deux mais Samuel est le plus impitoyable. » Il s'interrompit pour réfléchir. « Vois-tu, Thomas, j'ai eu deux grands amours dans ma vie : Sunida et
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