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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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avoir utilisé au mieux ses forces et le terrain, lorsqu’un feu de tirailleurs crépita sur les pentes au-delà du village, à gauche. Le canon de la compagnie la plus avancée aboya. Une seconde pièce lui fit écho, puis la troisième.
    Suivi de son tambour, Bernard y courait déjà. Ce qu’il vit lui arracha une exclamation. Un fort parti de uhlans aux habits bleu-noir, à revers rouges, arrivait sur la route d’Argonne, appuyé lui aussi par un bataillon. Les deux états-majors ennemis avaient eu exactement le même dessein et envoyé au même endroit exactement les mêmes forces : lesquelles ne s’attendaient, d’un côté comme de l’autre, qu’à rencontrer des patrouilles ou des coureurs. L’avantage cependant était pour Bernard, déjà installé. Du premier coup d’œil, il saisit la situation. « Continuez le feu à outrance, dit-il aux deux capitaines. Dispersez vos tirailleurs et portez-les le plus près possible de l’adversaire. » La surprise avait produit un flottement chez les Prussiens, il fallait en profiter pour rappeler les dragons.
    Revenant vivement au centre, Bernard chargea de cette mission le maître et trois cavaliers, puis ordonna au quatrième : « Prends ta carabine, donne-moi ton cheval. » Le soldat hésita, il obéit de mauvaise grâce. Bernard sauta en selle. Il rejoignit au galop l’aile gauche, à flanc de colline. La sombre cavalerie, laissant sur la route des hommes et des chevaux dont le sang rougissait la boue crayeuse, s’écartait par un large mouvement tournant, pour envelopper les positions. « Essayez, mes bons amis, pensa rapidement Bernard. Vous vous y casserez le nez. » L’étang interdisait toute attaque sur les arrières, et, à l’aile droite, messieurs les uhlans trouveraient de quoi les recevoir sur les pentes argileuses où les chevaux auraient singulièrement de la peine à charger. L’infanterie, elle, avec sa mécanique imperturbable, s’était formée sous le feu en colonnes par compagnies, pour offrir moins de prise au canon. Tandis que les siens se mettaient en batterie, elle s’avançait pour l’assaut. Parfait ! Elle aussi allait avoir une deuxième surprise. Manifestement, elle se croyait en face d’un simple corps de tirailleurs répandus, avec trois malheureuses pièces, sur la colline, et elle se disposait à l’emporter.
    « Plus de mitraille, commanda Bernard. À boulets sur les batteries. La fusillade sur les colonnes. » Il serra les talons en arrière des sangles, fit pivoter son cheval, redescendit vers le centre. « Amène une pièce en avant de l’étang, dit-il à Malinvaud, et tire à mitraille. » Passant devant le front de bataille, il cria : « Tout va bien, mes camarades. Nous allons les étriller. Vive la République ! »
    Il traversa la route de Châlons sur le pont de l’Auve tenu par la 9 e , puis grimpa pour inspecter l’aile droite : une compagnie en tirailleurs avec les deux derniers canons. À un quart de lieue en avant, les uhlans, sortant d’un bois roux estompé dans la grisaille, dessinaient leur manœuvre de débordement. Les éclaireurs battaient avec précaution le terrain. Pas d’autre ennemi en vue. Aucun risque de ce côté. Bernard recommanda de n’ouvrir le feu sur les cavaliers prussiens qu’au dernier moment. À gauche, la canonnade, peu bruyante en raison du petit calibre, pétaradait avec une vivacité accrue.
    Soutenant des jambes et de la bride sa monture qui glissait parfois, le lieutenant-colonel regagna l’aile combattante. Le bataillon prussien l’avait eue, sa seconde surprise, en recevant de flanc le feu de la pièce démasquée par Malinvaud à la branche de l’étang. Leurs batteries à eux aussi tiraient, contre la colline, mais leurs coups, sur des canons et des hommes disséminés, étaient inefficaces. De plus, les boulets pleuvaient sur elles. Un caisson sauta, il dut faire des ravages. Trois des petites colonnes d’attaque, qui n’avaient pu encore lâcher un coup de fusil, se dirigeaient vers l’étang par une impeccable conversion en marche. Trois seulement. Le collègue d’en face ne comprenait donc pas encore que le front de bataille se trouvait là. Il était temps de le lui révéler aimablement.
    Trop excité pour prêter attention aux boulets qui chuintaient parfois non loin de lui en l’éclaboussant de terre grasse, Bernard avertit les capitaines. « Quand vous verrez le gros de l’ennemi se porter vers l’étang, vous descendrez

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