Les autels de la peur
Une assemblée des électeurs, à l’évêché, avait tenté de se substituer à la Convention impuissante, en se mettant en correspondance avec toutes les municipalités des départements. Elle avait été blâmée par les Jacobins et dissoute. On ne pouvait pas cependant négliger ce signe. La section de Bonne-Nouvelle était venue lire à la barre une adresse dénonçant Brissot, Vergniaud, Guadet, Gensonné, Pétion, etc., comme complices de Dumouriez, et demandant qu’on les « frappât du glaive des lois ». La section de la Halle-aux-Blés rédigea et mit en circulation dans tout Paris une pétition où elle déclarait qu’une partie de l’Assemblée nationale, corrompue, conspirait avec les accapareurs, les réfractaires et les royalistes, qu’il fallait remplacer les mandataires infidèles par les suppléants.
On devrait, évidemment, en venir là. Si la Commune, si Robespierre, Marat, et Claude lui aussi pour sa part, avaient, au 10 mars, défendu les appelants, ou plutôt avaient défendu en eux les représentants de la nation, cela ne se pouvait plus à cette heure. La tolérance, chère à Santerre, serait coupable. Les girondistes s’étaient mis au ban de la nation en faisant le jeu de tous ses ennemis. Déjà, avant que Danton eût explosé contre eux, Robespierre avait, à la tribune, relevé tous les cas où ils s’étaient compromis par des éloges ou d’intempestives justifications de Dumouriez. Le 10, comme Pétion et Fonfrède, s’indignant de la pétition préparée par la Halle-aux-Blés, réclamaient des poursuites, Maximilien demanda la parole. Il lut un très long discours, méthodique et froid, mais par bien des points très remarquable, dont il avait brièvement parlé à Claude. Ils ne se voyaient plus qu’au Manège. Trop pris par le Comité de Salut public qui exigeait un énorme travail, Claude ne trouvait même plus le loisir d’aller aux Jacobins. Lise s’y rendait à sa place et lui rapportait les propos.
Dans ce vaste discours, Maximilien dénonçait à la Convention non seulement un parti mais une classe sociale tout entière. Les Brissotins en étaient l’émanation présente, comme l’avaient été les Feuillants, auxquels ils succédaient après que ceux-ci avaient eux-mêmes remplacé les royalistes sur les bancs de la droite. Après la noblesse, la grande bourgeoisie, puis la moyenne, mais toujours la même volonté : celle de s’imposer, comme une aristocratie, au peuple maintenu en tutelle. Les trahisons de ces nouveaux aristocrates continuaient celles de leurs prédécesseurs. Aucun ne voulait une véritable révolution, ils demandaient seulement à la Révolution les moyens de s’assurer le pouvoir. Aux Girondins, comme aux Feuillants – dont plusieurs se retrouvaient parmi eux –, il fallait un roi, avec la constitution de 91. La ligne de leur action se décelait aisément. Apparus avec l’Assemblée législative, maîtres de celle-ci par leur nombre, ils mettaient la main sur les ministères, y plaçaient leurs créatures : Narbonne, ensuite Servan, Roland, Clavière. Ayant perdu ces postes, ils s’alliaient hypocritement aux vrais patriotes, provoquaient le 20 juin pour intimider la Cour et, n’y parvenant pas, poussaient, au moyen de Barbaroux, de Rebecqui, à l’insurrection. Mais, en même temps, ils traitaient en sous-main avec le roi, lui écrivaient, offrant la paix à condition qu’il partageât le pouvoir avec eux. Dédaignés, le 10 août ils se gardaient bien d’abolir la monarchie, se bornaient à suspendre Louis XVI, à préparer un gouverneur au dauphin. Monopolant l’insurrection à leur profit, ils saisissaient de nouveau les principaux ministères et s’efforçaient, en paralysant, en calomniant la Commune, d’établir leur domination exclusive. Ensuite, une fois réunie la Convention nationale, furieux de s’être vus dédaignés par l’assemblée électorale de Paris, ils avaient écarté ses représentants de tous les comités, répandu les pires infamies contre la capitale, la dépeignant comme le foyer de tous les vices et de tous les crimes, pervertissant l’opinion par le moyen de leurs journaux et des sommes, prélevées sur les fonds du ministère de l’Intérieur, que Roland consacrait à la distribution des écrits les plus perfides. Ils avaient suscité la division au sein de l’Assemblée pour assurer leur pouvoir, ne craignant même pas d’appeler contre elle les fédérés de province qu’ils
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