Les autels de la peur
conduite « criminelle » d’une partie des représentants, elle réclamait leur expulsion de l’Assemblée, en laissant peser la menace d’une insurrection en cas de refus. Les députés incriminés étaient au nombre de vingt-deux, tous désignés nommément : Barbaroux, Biroteau, Buzot, Brissot, Chambon, Fauchet (l’abbé, le vainqueur de la Bastille), Hardy, Gensonné, Gorsas, Guadet, Grangeneuve, Isnard, Lanjuinais, Lanthenas, Lasource, Lehardy, Louvet, Pétion, Pontécoulant, Salle, Valady, Vergniaud. Aussitôt, Fonfrède demanda que son nom fût ajouté à cette « glorieuse » liste, et plus de deux cents députés, se levant sur les bancs de la droite et du centre, s’écrièrent : « Nous aussi ! qu’on nous inscrive tous, tous ! » L’affaire se termina en queue de poisson. Comme l’avait dit Claude à son beau-frère, c’était ridicule de proposer le suicide à la Gironde, alors qu’elle tenait la majorité de la Convention présidée, pour la quinzaine, par Lasource en personne. Haussant les épaules, Claude s’en fut au Comité.
À côté de l’Assemblée, de ses agitateurs et ses criailleries, c’était un havre de grâce. Il occupait, aux Tuileries, les appartements de Marie-Antoinette, jouxtant le pavillon de Flore devenu celui de l’Égalité. Du côté du Carrousel et de la rue des Orties, on y accédait par l’ancienne cour des Princes où l’escalier, ci-devant de la Reine, débouchait sous la dernière arcade accolée au pavillon : cet escalier par lequel Marie-Antoinette s’était enfuie, la nuit de juin 91, pour se perdre avec son garde du corps, passer sous le nez de Legendre et rejoindre enfin, au Petit-Carrousel, la berline verte de Varennes. L’antisalle du Comité donnait, à gauche, sur ce qui avait été, dans le pavillon même, le logement de M me de Lamballe. On y préparait l’installation du Comité des finances, dominé par Cambon. Claude et lui venant ensemble du Manège par le jardin, avec Treilhard, avaient suivi la terrasse des Feuillants. Sur celle du Château : le Palais national, ils longeaient à présent sa façade, refaisant en sens inverse, et sous les tilleuls reverdis, le chemin suivi par la famille royale au milieu des feuilles mortes, le matin du 10 août, puis par la colonne des Suisses et des gentilshommes qui avaient, avec le maréchal de Mailly, réussi à gagner le Manège, sous le feu des insurgés. Les toits crevés par les boulets de Lazouski étaient réparés. Un échafaudage, sur lequel travaillaient des compagnons à bonnet rouge, entourait le sommet du dôme du pavillon de l’Horloge, maintenant pavillon de l’Unité. D’autres ouvriers allaient et venaient en fourmilière dans le vaste vestibule qui avait vu le carnage des patriotes, et sur l’escalier monumental où les hommes de Westermann, de Rebecqui, de Santerre avaient anéanti les Suisses. Des matériaux de toute sorte encombraient cet imposant degré montant droit à l’entresol où il se divisait, devant la chapelle, en deux branches soutenues par les colonnes de marbre dont le pied avait baigné dans le sang. Branches par lesquelles, le 20 juin, le peuple s’était rué, avec son canon, vers les Grands appartements situés à l’étage : la salle du Conseil, le cabinet du Roi, la Chambre du lit. En ce moment, régnait dans ce vestibule une forte odeur de peinture. On entendait les échos d’un vacarme affairé provenant de la chapelle et des salles qui lui succédaient jusqu’au pavillon de Marsan, dédié à la Liberté. Par l’enfilade des portes, dans une perspective d’échelles, de tréteaux, se laissait apercevoir une grande et plantureuse femme nue, assise toute blanche, autour de laquelle s’activait un bataillon de travailleurs.
« Il vont l’habiller, je l’espère ! » dit Treilhard qui devenait pudibond, à cinquante et un ans.
Cambon et Claude sourirent en se dirigeant avec leur collègue vers l’aile opposée. De ce côté du vestibule, un corps de garde défendait l’entrée du long couloir sombre qui séparait les petits cabinets, donnant sur la cour, des pièces donnant sur le jardin et abritant les bureaux du Comité de Salut public. À l’extrémité, la salle réservée aux commissaires : l’ancienne chambre de Marie-Antoinette, était grande, très riche avec son plafond peint par Mignard, ses lambris clairs, ses rinceaux et listons dorés, son lustre de cristal, sa large cheminée en marbre blanc, son tapis
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