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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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vécu, ils les avaient connus, et je savais qu'il me fallait les voir.
L'homme qui avait surgi de nulle part pour me raconter en un coup de téléphone
plus que tout ce que ma famille avait jamais su, cet homme, qui me faisait
penser à mon grand-père quand il parlait, était sorti avec la petite Ruchele ;
et sa mère avait été tuée le même jour qu'elle. Nous étions liés, désormais, à
Jack par des liens d'amour et de mort.
    Il y avait aussi un autre facteur :
    Alors je devrais vraiment venir en Australie ? ai-je demandé
à Jack à la fin de notre conversation, ce soir-là. N'hésitez pas, a-t-il
répondu...
    (D'accord, je n'hésiterai pas ! ai-je coupé, avec
l'envie de lui faire plaisir, comme si j'avais essayé de faire plaisir à mon
grand-père.) ... parce que je ne vais pas faire long feu.
    L'Australie a donc été pour nous l'étape suivante. Et c'est
en Australie, quand nous avons rencontré Jack Greene et les quatre autres Juifs
de Bolechow qui avaient choisi, après la guerre, de s'installer dans ce
continent éloigné, aussi loin qu'il est possible de l'être de la Pologne, que
les contours de l'histoire sont enfin devenus plus précis et que nous avons pu
obtenir les détails concrets que nous avions tant désirés, connaître les
circonstances particulières qui transforment les statistiques et les dates en
une histoire. Quelle était la couleur de la maison, comment elle tenait son
sac  à main. Et puis, l'Australie nous a entraînés en Israël, où nous avons
rencontré Reinharz et Heller, et d'Israël nous avons été conduits à Stockholm,
où nous avons fait la connaissance de Mme Freilich, et de Stockholm nous sommes
retournés en Israël, d'Israël nous sommes repartis pour le Danemark, où nous
avons rencontré Kulberg et son remarquable récit.
    A la fin, nous avons eu notre histoire.
    Mais il y avait un fait particulier, concret, que je
connaissais déjà, concernant une des Jäger de Bolechow, avant même que nous
nous lancions dans tous ces voyages et que nous rencontrions tous ces gens.
Nous savions, comme je l'ai dit, que Ruchele Jäger, la troisième fille de
Shmiel, était morte au cours de la première Aktion, soit le 28, soit le
29 octobre 1941. Nous ne savons pas, et nous ne pouvons pas le savoir
exactement, quel âge elle avait exactement : pour une raison quelconque, les
Archives nationales polonaises à Varsovie, qui possèdent les certificats de
naissance de ses deux sœurs aînées, ne peuvent retrouver ceux de Ruchele et de
sa sœur cadette, Bronia. Jack Greene pense qu'elle avait seize ans, et c'est probablement
vrai. Mais je sais de façon certaine, je le sais comme un fait, et je n'ai pas
besoin d'archives qui me disent que c'est vrai : je sais que Ruchele a dû
naître après le 3 septembre 1923.
    Je le sais parce que c'est le jour où une autre jeune femme nommée
Rachel, Ruchele, est morte. Parce que les Juifs d'Europe de l'Est ne
donnent à leurs enfants que les prénoms des morts – mes frères, ma sœur et
moi portons les prénoms de parents morts, tout comme c'était le cas de mon
grand-père et de ses six frères et sœurs, et en raison de cette pratique les
gens qui s'intéressent à la généalogie juive disposent d'une méthode
remarquablement fiable pour déterminer certaines dates, si l'information est
par ailleurs lacunaire –, je sais parfaitement que Ruchele Jäger, la fille
de Shmiel, a dû naître après la mort de la sœur de son père et de mon
grand-père : la première Rachel Jäger, née en 1896, la future épouse dont la
mort tragique et inattendue, terriblement prématurée, allait devenir par la
suite, après bien des années, la plus grande histoire de ma famille, un récit
mythique au cœur duquel, c'est du moins ce que je crois, se trouve une légende
plus ancienne encore sur la proximité et la distance, l'intimité et la
violence, l'amour et la mort, cette légende première entre toutes, ce mythe
premier entre tous, sur la facilité avec laquelle nous tuons ceux qui nous sont
les plus proches.
    Même s'il punit sévèrement le premier meurtre de
l'histoire, Dieu déclare que si Caïn est tué, il sera vengé sept fois. Là
encore, le commentateur médiéval et le commentateur moderne offrent des
interprétations radicalement divergentes du texte. Le point crucial est la
nature du châtiment de celui qui tuerait Caïn, exprimé dans le mot
shiv'ahthayim, qui signifie littéralement « multiplié par sept ».
Rachi, une fois de

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