Les joyaux de la sorcière
Cyril ! ordonna Caroline et son époux s’exécuta en riant mais, entre sa poche et la main tendue de la jeune femme, il y avait Morosini et la senteur qui imprégnait le tissu blanc lui sauta aux narines.
C’était, il l’aurait juré, le Vétiver de Guerlain. Sa remarque partit aussitôt :
— Voilà une odeur que je connais, dit-il. Vous êtes un fidèle client de Guerlain ?
— Malheureusement oui, cher ami !
— Je ne vois rien là de si tragique ?
— Hé si ! J’ai égoutté sur ce mouchoir le tréfonds de mon dernier flacon et je m’en trouve à présent démuni : la fiole que j’avais achetée avant de partir et que je tenais en réserve m’a été volée dans ma cabine et il m’est impossible d’en trouver ici. Vous me voyez inconsolable !
— Un vrai drame ! renchérit sa femme. Comme s’il n’y avait au monde que les parfums français ! Surtout pour un homme ! Qu’utilisez-vous, prince ?
— Une lavande anglaise… répondit Aldo presque machinalement.
— Là, vous voyez bien, Cyril !
— Quand on est né Russe, seules les eaux françaises…
La discussion se poursuivit entre les époux sur fond des sanglots de Dorothy mais Aldo s’en désintéressa, s’écarta même de quelques pas. Un instant – non sans stupeur ! – il avait cru qu’Ivanov était son agresseur. N’en avait-il pas la taille, la stature ? Quant à la raison pour laquelle ce jeune homme brillant, marié à une riche héritière, aurait voulu le rayer du nombre des vivants, elle lui échappait complètement… comme, d’ailleurs, celle d’un tueur anonyme caché dans les flancs du paquebot, n’en sortant que pour cambrioler les cabines de luxe et jeter les gens par-dessus bord !
— À quoi penses-tu ? demanda Vauxbrun qui l’avait rejoint et lui offrait une cigarette.
— Tu veux le savoir ? À rentrer chez moi le plus vite possible parce que j’en arrive à me demander ce que je viens faire dans ce pays…
— Ton métier, je suppose ?
— Non. Je viens me mêler de ce qui ne me regarde pas…
— Quoi ? Pas le moindre joyau à la clef ?
— Si, bien sûr mais je ne suis même pas certain qu’il y soit ! Et ce que je n’aime pas c’est que le feu sacré a l’air de m’abandonner depuis que nous avons quitté Le Havre…
— Il ne s’appellerait pas un brin Vidal-Pellicorne, ton feu sacré ?
— Peut-être finalement ! Je trouve cette histoire tellement grotesque !
— Ah ça je te l’accorde ! Tourner le dos à un ami comme toi pour faire plaisir à une femme, c’est franchement idiot, fit sans rire le bon Gilles Vauxbrun avec une sainte indignation qui du coup remonta le moral d’Aldo. Sa main s’abattit sur la clavicule de Gilles :
— Ne t’inquiète pas ! Je m’en remettrai…
À présent guidé par des remorqueurs, le beau seigneur de la mer remontait l’Hudson en direction du « pier » de la Compagnie Générale Transatlantique. Sur le pont supérieur la meute habituelle de journalistes se lançait à l’assaut des personnalités dont les noms avaient été relevés sur la liste des passagers. La grande dame de la Comédie-Française en avait sa bonne part ainsi qu’Adolphe Menjou mais aussi Alice Astor. De sa place, Aldo pouvait la voir accrochée au bras d’Adalbert au milieu d’un groupe d’appareils photos. En revanche, il ne vit pas venir à lui une jeune femme armée d’un bloc et d’un stylo derrière laquelle trottait un photographe.
— Prince Morosini, je présume ? Nelly Parker du New-yorker . Puis-je avoir quelques mots ?
Il la regarda avec une franche stupeur : c’était bien la première fois que la Presse l’accueillait en pays étranger mais la petite journaliste était charmante avec ses cheveux fous et roux dépassant d’un incroyable béret écossais.
— Vous présumez juste, Mademoiselle, mais en quoi puis-je vous intéresser ?
— Vous plaisantez ?
— Pas le moins du monde.
— Vous êtes l’homme des joyaux célèbres et vous avez fait rêver de nombreux lecteurs. Quel est le but de votre voyage ? Affaires, je suppose ? Apportez-vous quelque pièce rare à l’un de nos milliardaires ou bien venez-vous en acheter ? Nous en avons vous savez ?
— D’abord, je ne « livre » jamais. Quand un client m’achète un bijou, il se charge lui-même de son transport. Ensuite… je fais tout simplement un voyage d’agrément. Il y a longtemps que je ne suis venu dans ce beau
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