Les mannequins nus
des déportations massives de Juifs hongrois, en l’espace de deux mois et demi (mai-juin) quatre cent mille y passèrent. Les nazis ont souvent affiché, tant dans leur propagande que dans les discours officiels, leur mépris de l’or. Ceci ne les a pas empêchés de récupérer sur leurs victimes – entre la mise en service des crématoires et le mois de novembre 44, date à laquelle ils ont cessé de fonctionner – dix-sept tonnes du précieux métal jaune.
LES CANADAS
— J’appartenais (53) aux deux cents nouvelles du camp des femmes qui avaient été affectées aux kommandos du « Canada ». On nous répartit en plusieurs groupes ; il y avait une équipe de jour et une équipe de nuit. Notre travail consistait à trier les biens des gens qui avaient été gazés et incinérés. Dans une baraque, un groupe triait des chaussures uniquement ; un autre groupe ne s’occupait que des vêtements d’hommes, un troisième de vêtements de femmes, un quatrième de vêtements d’enfants. Une autre baraque portait le nom de baraque de la boustifaille. Des montagnes entières de vivres, qui avaient été emportées par les gazés lors de leur déportation, y moisissaient et y pourrissaient. Dans une autre baraque on triait les objets de valeur, les bijoux, l’or et d’autres objets précieux. Un groupe spécial devait déblayer l’amoncellement de biens qui avaient été enlevés aux candidats à la mort, et les répartir entre les diverses baraques. Je fus affectée à l’équipe de nuit chargée de trier les vêtements de femmes. Ces vêtements étaient entassés à une extrémité de la baraque. Nous devions en faire des paquets de douze. Les vêtements devaient être soigneusement pliés, et ensuite ficelés. En un laps de temps donné, il fallait avoir confectionné de la sorte un nombre déterminé de paquets. Ceux-ci étaient ensuite entassés dans une autre baraque, pour leur transport. De là, des camions partaient tous les jours, pour livrer en Allemagne ces biens volés.
— Tous les vêtements devaient être soigneusement palpés, à la recherche de bijoux cachés ou d’or. Le Reich allemand s’attendait à de l’or, à des dollars, à des diamants et autres pierres précieuses. Le butin de ce genre partait en sacs. Bien que la dissimulation de tels objets signifiât la mort, mes trois amies et moi n’avons jamais livré de tels objets. Nous préférions nous servir de billets de banque pour papier de toilette. Nous avons enfoui dans la terre des boîtes remplies d’or et d’objets précieux. Lorsque nous en avions la possibilité, nous remettions de tels objets aux détenus hommes avec lesquels nous entretenions des contacts. Eux de leur côté avaient des contacts avec le mouvement de la résistance (polonaise) à l’extérieur. Nous espérions qu’il serait possible de se procurer de la sorte des armes et des munitions pour une insurrection prochaine. Néanmoins un camion après l’autre transportait les trésors des victimes en Allemagne…
*
* *
— La gigantesque (54) corruption qui régnait à Auschwitz était la conséquence directe et le complément du gazage de millions de Juifs de tous les pays. Il va de soi qu’on ne leur disait pas où allaient les convois et ce qu’ils allaient devenir. Si les victimes avaient su ce qui les attendait, cela aurait ralenti et gêné le déroulement des opérations. C’est pourquoi on se contentait de leur dire qu’ils allaient à l’Est, pour travailler dans des colonies ou ghettos juifs. On leur donnait en même temps le bon conseil d’emporter le maximum de choses transportables, étant donné l’impossibilité de se procurer du linge, des habits, de la vaisselle, des outils, etc., dans ces régions lointaines. De cette manière très plausible, les Juifs étaient incités à prendre avec eux non seulement des montagnes entières de vêtements, mais aussi des instruments médicaux, des pharmacies, des outils spéciaux, et surtout des valeurs sous forme de devises étrangères, or, bijoux, emportés soit ouvertement, soit clandestinement.
— Mais c’est de cela justement qu’il s’agissait. Que les malheureux propriétaires aillent dans les chambres à gaz, ou soient affectés au travail, tous ces objets tombaient entre les mains des S.S., à moins que les détenus chargés de les trier ne participassent à ces affaires pour leur propre compte. Le total des richesses dont il s’agissait au courant des
Weitere Kostenlose Bücher