Les Piliers de la Terre
construite. »
Demain !
Aliena allait épouser Alfred demain ! Jack n’avait jamais vraiment cru que
cela arriverait. Et voilà que la réalité s’abattait sur lui comme un coup de
tonnerre. Aliena se mariait demain. La vie de Jack se terminerait donc demain.
Ses yeux revinrent à la carte posée devant lui. Qu’importait que le centre du
monde fût Jérusalem ou Wallingford ? Serait-il plus heureux s’il savait
comment fonctionnent les leviers ? Il avait dit à Aliena qu’elle aurait
mieux fait de se jeter dans le vide plutôt que d’épouser Alfred. Ce qu’il
aurait dû faire c’était de s’y jeter lui-même.
Il
détestait le prieuré. La vie de moine lui répugnait. S’il ne pouvait pas travailler
à la cathédrale et si Aliena en épousait un autre, il n’avait plus de but dans
la vie.
Le pire,
c’était qu’elle serait malheureuse avec Alfred, il le savait. Ce n’était pas
seulement parce qu’il haïssait son demi-frère. Il connaissait des jeunes filles
qui se satisferaient de lui. Edith, par exemple, celle qui avait ricané quand
Jack lui avait expliqué combien il aimait sculpter la pierre. Edith serait
heureuse de flatter Alfred et de lui obéir aussi longtemps qu’il rapporterait
de l’argent et qu’il aimerait leurs enfants. Mais Aliena, elle, souffrirait
chaque minute de leur mariage. Elle mépriserait le manque de finesse d’Alfred,
elle maudirait sa brutalité, elle serait écœurée de sa mesquinerie et ne
supporterait jamais sa lenteur d’esprit. Ce mariage serait pour elle un enfer.
Pourquoi
ne s’en rendait-elle pas compte ? Jack était déconcerté. Que se passait-il
dans l’esprit d’Aliena ? Sept ans plus tôt, elle avait fait sensation en
refusant d’épouser William Hamleigh et voilà qu’aujourd’hui elle acceptait
passivement la demande d’un maçon simple et grossier. A quoi
pensait-elle ?
Jack
devait le savoir. Il fallait qu’il lui parle. Au diable le monastère !
Il roula
la carte, la rangea dans le placard et se dirigea vers la porte. Joseph
s’étonna. « Vous partez ? Je croyais que vous deviez rester ici
jusqu’à ce que le prévôt vienne vous chercher.
— Le
prévôt peut aller au diable », dit Jack en passant la porte.
Comme il
débouchait dans l’allée du cloître, il tomba sur le prieur Philip qui arrivait
du chantier. « Jack ! Qu’est-ce que cela signifie ? Oublies-tu
ta pénitence ? »
Jack ne
supportait plus la discipline monastique. Sans répondre à Philip, il se dirigea
vers le passage qui menait aux petites maisons du nouveau quai. Hélas ! Ce
n’était pas son jour de chance. Au même moment apparut frère Pierre, le prévôt,
suivi de ses deux adjoints. Ils aperçurent Jack et s’arrêtèrent net, une
expression d’indignation stupéfaite sur le visage lunaire de Pierre.
« Frère
Pierre ! cria Philip. Arrêtez ce novice ! »
Pierre
tendit la main pour bloquer Jack, qui le repoussa. Rouge de colère, Pierre
empoigna Jack par le bras. Celui-ci se dégagea en décochant au moine un coup de
poing sur le nez. Il poussa un cri et ses deux adjoints bondirent sur le
fugitif.
Jack se
débattait comme un forcené et il allait se libérer quand Pierre, un peu remis
du choc, vint en renfort. A eux trois, ils parvinrent à plaquer Jack au sol et
à l’y maintenir. Lui continuait de lutter, furieux de voir cette vermine
monastique l’empêcher de faire ce qui comptait vraiment pour lui : parler
à Aliena. Les deux adjoints, assis sur lui, lui interdisaient tout mouvement.
Pierre essuyait sur la manche de son habit le sang qui coulait de son nez.
Philip rejoignit le groupe.
Visiblement,
il n’avait jamais été aussi en colère. « Je ne tolérerai cette attitude de
personne, dit-il d’une voix de fer. Tu es un novice et tu vas m’obéir. »
Il se tourna vers Pierre. « Emmenez-le dans la salle d’obédience.
— Non !
cria Jack. Vous n’avez pas le droit !
— Pas
le droit ! » Philip eut un ricanement de rage.
La salle
d’obédience était une petite cellule sans fenêtre située dans le magasin sous
le dortoir, à côté des latrines. Elle servait surtout à emprisonner les
délinquants en attente de comparution devant la cour du prieur ou de transfert
à la prison du shérif à Shiring ; mais elle servait de temps en temps de
cellule de punition pour les moines qui avaient commis de graves délits
disciplinaires, notamment des actes impurs avec les domestiques du prieuré.
Ce
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