Les Piliers de la Terre
n’était
pas le cachot que redoutait Jack – c’était le fait qu’il ne pourrait pas sortir
voir Aliena. « Vous ne comprenez pas ! hurla-t-il à Philip. Il faut
que je parle à Aliena ! »
Il
n’aurait pas pu dire pire. La colère de Philip passa à la fureur. « C’est
pour lui avoir adressé la parole que tu es puni ! lui rappela-t-il.
— Mais
il faut que je lui parle tout de suite, c’est urgent !
— La
seule chose urgente, c’est d’apprendre à craindre Dieu et d’obéir à tes
supérieurs.
— Vous
n’êtes pas mon supérieur, espèce de crétin ! Vous n’êtes rien pour moi.
Lâchez-moi, bon sang !
— Emmenez-le »,
dit Philip d’un ton glacial.
Un petit
rassemblement s’était formé autour de l’incident. Quelques moines aidèrent à
maintenir Jack par les bras et les jambes. Il gigotait comme un poisson pris à
l’hameçon, mais ils étaient trop nombreux. On le transporta jusqu’à la porte de
la salle d’obédience. Quelqu’un l’ouvrit. La voix de frère Pierre retentit
cruellement : « Jetez-le là-dedans ! » A peine eut-il
atterri sur le sol de pierre, meurtri de toutes parts, qu’il se précipitait
contre la porte, qui se ferma juste comme il en touchait le loquet. De l’autre
côté la lourde barre de fer glissa contre le pan de bois, la clé tourna dans la
serrure.
Jack se
jeta contre la porte et la martela de toutes ses forces :
« Laissez-moi sortir ! criait-il comme un fou. Il faut que je
l’empêche d’épouser cette brute ! Laissez-moi sortir ! » Dehors,
c’était le silence. Il continua à appeler tant qu’il eut de la voix, puis ses
cris se transformèrent en gémissements, puis en un rauque murmure et il se mit
à pleurer des larmes de rage.
La cellule
n’était pas totalement obscure : grâce au peu de lumière qui filtrait sous
la porte, il distinguait vaguement les détails du cachot. Il en fit le tour en
tâtant les murs. Ses doigts devinaient des marques du ciseau sur les pierres,
qui indiquaient que la cellule avait été bâtie très anciennement. Elle avait
environ six pieds carrés, avec une colonne dans un coin et un plafond
voûté : de toute évidence elle faisait autrefois partie d’une pièce plus
vaste et on l’avait murée pour en faire une prison. Sur une paroi, il y avait
un espace comme une ouverture pour une meurtrière, mais elle était solidement
bouchée et de toute façon beaucoup trop étroite pour permettre à quiconque de
s’y glisser. Le sol dallé était humide. Jack perçut le bruit régulier d’un
torrent et il comprit que la canalisation qui traversait le prieuré du vivier
jusqu’aux latrines devait passer sous la cellule, ce qui expliquait pourquoi le
sol était en pierre et non en terre battue.
Épuisé, il
s’assit sur le sol, le dos au mur, et fixa le rai de lumière qui passait sous
la porte, exaspérant rappel de la liberté. Comment en était-il arrivé là ?
Pris au piège… Il n’avait jamais cru au monastère, il n’avait jamais pensé
dédier sa vie à Dieu en qui il ne croyait pas vraiment. Il était devenu novice
car c’était la solution d’un problème immédiat, une façon de rester à
Kingsbridge, près de ceux qu’il aimait, tout en conservant la possibilité,
croyait-il, de partir s’il en avait envie. Mais maintenant qu’il voulait se
dégager, qu’il le voulait plus que tout, il ne pouvait pas : il était
prisonnier. J’étranglerai le prieur Philip dès que je serai sorti d’ici,
songea-t-il, même si l’on doit me pendre.
Quand
allait-on le relâcher ? Il entendit la cloche sonner le souper. Les moines
avaient assurément résolu de le laisser là toute la nuit. Sans doute en ce
moment même discutaient-ils de son cas. Le pire châtiment qu’il encourait,
c’était le cachot pendant une semaine : il ne doutait pas que Pierre et
Remigius réclameraient une ferme punition. D’autres, qui l’aimaient bien,
pourraient se contenter d’une nuit de cellule. Et Philip ? Le prieur
aimait bien Jack, mais après une telle scène, et surtout après les paroles prononcées
par Jack, Philip ne pouvait plus prendre son parti. Il laisserait les durs
l’emporter. Son seul espoir, c’était qu’on décide de l’expulser immédiatement
du monastère, ce qui du point de vue des moines serait la condamnation la plus
sévère. Si seulement cela arrivait ! Jack aurait encore une chance de
parler à Aliena avant le mariage. Mais Philip n’accepterait jamais
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