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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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prairies, en un mot, le petit royaume dont j’étais devenu le prince. Et
bien que nous fussions déjà en automne, j’oserais dire, comme le poète, qu’ au plus joyeux de mon âme, il pleuvait un printemps de fleurs.
    Je demeurai comme étonné, à y réfléchir plus outre, par
l’étendue de mes pouvoirs à Orbieu. Ils étaient tels et si grands qu’ils me
laissaient troublé, incrédule et bien résolu à n’en pas mésuser. Nul dans mon
domaine, fût-il propriétaire, ne pouvait faire ses foins, moissonner ou
vendanger sans que j’en donnasse le signal. Nul ne pouvait moudre son blé,
cuire son pain ou presser les grappes de sa vigne sans passer – à mon très
grand profit – par mon moulin, mon four et mon pressoir. Nul ne pouvait
avant moi vendre son blé, son vin, ses fruits ou le croît de son bétail. Hormis
le curé et son vicaire, j’étais le seul à pénétrer dans l’église par la porte
de la sacristie, à siéger en l’absence de l’évêque dans le chœur, sous lequel,
paroissien insigne, je serai un jour enterré. Et durant la messe, aussitôt que
le desservant avait encensé le Seigneur Notre Dieu, il me devait bailler, on
l’a vu, ma part d’encens. Tous ceux qui sur mes terres possédaient une maison et
quelques arpents me devaient une redevance annuelle et, s’ils la voulaient
vendre, un lod. J’avais le droit, interdit à tous, de posséder un pigeonnier et
d’y élever une centaine de pigeons qui avaient tout loisir, avant d’être servis
sur ma table, de becqueter les récoltes de mes manants et, chose tout aussi
dommageable, les miennes. Le ciel au-dessus de mon domaine, l’eau qui coulait
ou stagnait dans mes terres – rus, rivières, étangs ou mares –
m’appartenaient. Et tout ce qui volait dans l’air, courait sur la terre ou
nageait dans l’eau, était à moi. Quiconque capturait à son profit, pour la
vente ou le pot, une de ces créatures de Dieu, était passible d’une amende,
d’une bastonnade ou même de la hart, punition suprême que je pouvais seul
décider et appliquer, étant seigneur haut justicier.
    Toutefois, ce privilège-là avait chu, sinon en droit du
moins en fait, quasiment en désuétude et Orbieu ne gardait que par tradition
les fourches patibulaires qui se dressaient sur le sommet d’une colline. On les
avait dressées là pour qu’elles fussent bien visibles du village, montrant, au
milieu de la poutre transversale, l’usure qu’y avait laissée la corde au bout
de laquelle s’étaient impiteusement balancés les pendus des seigneurs
d’autrefois. Ce droit de vie et de mort sur les manants du domaine, on se
ramentoit que l’intendant Rapinaud l’avait vilainement usurpé en arquebusant
d’une des fenêtres du château un braconnier qui, à la pique du jour, avait
péché une carpe dans l’étang du feu comte. Cette meurtrerie l’avait fait honnir
de tous et assurément, si on avait retrouvé le corps de sa victime, il lui en
aurait cuit.
    Comme Louison se serrait davantage contre moi dans le clos
du carrosse, j’entendis bien à la parfin que la langue lui démangeait et que
des paroles non dites gonflaient ses joues roses. Et roses, elles l’étaient
émerveillablement, en contraste avec ses cheveux noirs, lesquels à leur tour
rehaussaient le bleu de ses tendres yeux. À voir les coups d’œil qu’elle jetait
quand et quand à son vertugadin, elle me parut toute fiérotte de le porter. Je
pris note toutefois de me ramentevoir de lui dire de le porter à Orbieu, si
elle le voulait, mais point à Paris pour ne pas humilier les cotillons du
domestique.
    Le pundonor, comme disent les Espagnols, était le point
faible, ou si l’on préfère le point fort, de ma Louison. Elle avait fort envié
Margot d’être la garce d’un marquis, au temps où elle n’était elle-même que la
garce d’un chevalier. Et meshui, ayant le sentiment d’avoir avancé dans la vie
en même temps que moi, elle se paonnait fort auprès de Margot d’être la garce
d’un comte. Tant est que je dus me résoudre à lui rabattre doucement la crête
pour éviter les zizanies.
    — Monsieur le Comte, dit-elle enfin d’une voix douce et
basse, en avez-vous fini avec vos songes, ou dois-je encore demeurer bec
cousu ?
    — Parle, M’amie, parle ! Je ne voudrais pas que
tes paroles t’étouffent !
    — Mais de prime, Monsieur le Comte, plaise à vous de me
jeter un œil.
    Sa tête reposant contre le gras de mon épaule, je lui pris
le

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