L'Héritage des Cathares
Termes et Puivert seront sans doute les prochaines à être attaquées, dit-il en indiquant les lieux l’un après l’autre de l’index.
Il roula la carte et la remit à Bertomieu. Puis il se retourna vers moi et soupira. Je sentis chez lui une profonde lassitude et, l’espace d’un instant, ses yeux trahirent un désarroi si grand que je conçus pour lui une sympathie immédiate.
— Les croisés ne s’arrêteront que lorsqu’ils auront pris toutes nos terres et éliminé le dernier cathare.
— Et alors ? Pourquoi me dire tout cela à moi ?
— Parce qu’en ce moment même la révolte s’organise. La croisade vise les cathares, mais ils sont loin d’être les seules victimes.
Avec l’approbation de l’Église, cette mère de la fornication et de l’abomination, plusieurs nobles chrétiens du Sud ont aussi été dépossédés de leurs terres, de leurs châteaux et de leurs revenus, qui ont été cédés à de petits seigneurs du Nord - des fils cadets sans avenir et trop heureux de se trouver quelque part une terre à s’approprier. Tout cela parce qu’ils étaient sympathiques aux hérétiques. Un bien beau prétexte au pillage, en vérité. Point n’est besoin de dire que ces faidits, comme on les appelle, sont amers. Ils ne demandent plus réparation, mais vengeance. Comme leur loyauté au pape ne leur a valu qu’injustice, ils n’hésitent plus à nous appuyer ouvertement et à joindre leurs forces aux nôtres. Ils se sont regroupés et ont commencé à harceler les croisés avec un certain succès. Malheureusement, leurs troupes ne sont qu’un ramassis de racaille, de voyous et d’opportunistes. Dans cet état, ils n’ont aucune chance de victoire.
— Je croyais que les cathares ne devaient pas prendre les armes. dis-je.
— Les Parfaits sont tenus à la non-violence par le consolamen-tum qu’ils ont reçu. Les croyants, eux, sont des gens ordinaires. Ils font partie de l’Église, mais ne sont pas soumis aux mêmes restrictions. Ils respectent nos enseignements les plus importants et vivent dans le monde sans en être tout à fait. Ils constituent notre bras armé, en quelque sorte.
— Astucieuse et pratique distinction, notai-je avec sarcasme.
Une fois encore, Rambaut ne releva pas l’allusion. Il me
tourna le dos et retourna s’asseoir à sa place. Ce fut Bertomieu qui prit la relève. Le vieil homme forma un triangle avec ses doigts et appuya le menton sur ses pouces. Il me dévisagea longuement sans rien dire.
— Pour espérer survivre, nous avons besoin d’organisation et d’hommes valeureux. Des hommes comme toi, Gondemar de Rossal.
Sidéré, je le dévisageai. Me demandait-il de rejoindre les rangs des cathares et de me battre pour eux ? Était-ce là ce que Dieu attendait de moi ? Que je vienne en aide aux hérétiques ? Que je devienne l’un d’eux ? La Vérité de Métatron était-elle cette doctrine à la fois plus pure et plus complexe que la religion dans laquelle j’avais été élevé et au nom de laquelle on tuait sans scrupules ?
— Que me proposez-vous au juste ? m’enquis-je. Je ne suis ni un apostat, ni un mercenaire qui peut être acheté par le plus offrant.
— N’aie crainte, dit le vieillard en levant une main. Je ne te demande pas ton âme. Seulement tes armes. Tu les as mises au service du pape. Tu peux en faire autant pour nous.
Pour la première fois, Garsenda prit la parole. Elle était entre deux âges et son regard était aussi aiguisé que celui de Bertomieu.
— Tu es chrétien et nous l’acceptons, dit-elle. Si jamais tu décidais d’embrasser la vraie religion, nous t’accueillerons parmi nous avec bonheur. Mais la décision devra venir de toi seul. Cela dit, j’ai cru comprendre que tu étais. bien disposé face à notre situation, ajouta-t-elle en désignant Pernelle du regard. Ou au moins, que tu t’abstenais de nous juger trop sévèrement, ce qui est déjà mieux que ce que font tes semblables. Dame Pernelle te fait confiance et nous nous fions à elle. Aussi aimerions-nous que tu prennes charge d’une partie de nos troupes.
Tout me parut tout à coup parfaitement simple. Si vraiment cette religion à la fois séduisante et inquiétante était la Vérité, je devais la protéger. Tel était le marché que j’avais conclu. Comment ? Je l’ignorais. Mais en refusant, je ne serais guère plus avancé.
— Soit. J’accepte.
— Bien, dit
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