L'Héritage des Cathares
perdition
La victoire sans équivoque contre les soldats du roi constitua mon ultime rite de passage vers le monde des hommes. À bientôt dix-sept ans, j’avais fait mes preuves devant mon père et le village tout entier. Dès lors, mon autorité gagna en légitimité, tous les serfs ayant bien vu qui s’était écrasé et qui s’était tenu debout. C’est aussi après ces événements que je recommençai à porter ma broche, dont je me sentais à nouveau digne. Même Montbard sembla considérer que j’avais bien démontré la qualité de ma formation, et dès lors il me fit travailler sur de fins détails. Nos séances physiques alternèrent avec des discussions tactiques. Son passé de templier m’étant connu, mon maître d’armes m’expliquait ouvertement des techniques de combat moins connues, comme celles des Sarrasins et de la secte des Assassins, crainte entre toutes en Terre sainte. Nous les appliquions ensuite au ralenti avant de les mettre en pratique. Ce faisant, il augmenta considérablement ma polyvalence au combat.
Quelques semaines à peine s’étaient écoulées lorsque nous apprîmes que des brigands avaient frappé une bourgade sans nom à l’extrémité de la seigneurie, à plusieurs lieues de Rossal. Un messager se présenta un soir, vacillant de fatigue, et demanda à voir Florent, qui fit aussitôt mander Montbard. Lorsque celui-ci fut arrivé, l’homme nous relata les événements de la veille. Mon père sembla vouloir me demander de sortir, puis se raviser. Pour ma part, l’idée ne m’effleura pas l’esprit. Il était désormais hors de question que je sois tenu à l’écart des décisions. Je soutins son regard jusqu’à ce qu’il baisse les yeux.
La description que le serf fit du chef des brigands nous confirma qu’il s’agissait d’Onfroi, celui-là même qui était passé à Rossal, des années plus tôt, et qui y avait laissé tant de blessures non guéries. Selon ce qu’on nous en disait, la bande comptait maintenant une quinzaine d’hommes et, de toute évidence, le vol ne leur suffisait plus. Ils avaient torturé des serfs pour les forcer à révéler la cachette de richesses qui n’existaient pas et s’étaient livrés à des exactions gratuites, en tuant plusieurs pour le simple plaisir. Le décompte des morts se chiffrait à sept : quatre hommes, deux femmes et un nourrisson éventré devant sa mère, au son des rires gras des assassins. Les blessés étaient plus nombreux encore. Un véritable carnage. À ce récit, mon sang ne fit qu’un tour : on avait attenté à la propriété qui serait bientôt la mienne. On avait foulé mon honneur aux pieds. Et je savais pertinemment que Florent ne ferait rien.
D’une voix étranglée, mon père remercia le messager puis ordonna qu’on le nourrisse et qu’on lui prépare un lit pour la nuit. Il s’enferma ensuite dans le mutisme où il se réfugiait toujours lorsqu’il se sentait impuissant. Montbard posa sur lui le regard glacial d’un prédateur contemplant déjà la chasse.
— M’est avis que le temps est venu de régler le cas de ces malfrats une fois pour toutes, dit-il d’un ton sépulcral.
— Ils sont certainement déjà partis vers une autre seigneurie sans défense.
— En une journée, ils ne peuvent pas être allés bien loin. Je peux les rattraper.
— Vous laisseriez le village sans protection.
— Par les mamelles de la Vierge ! Si je reste ici, c’est le reste de la seigneurie qui est vulnérable ! explosa Montbard en frappant son poing dans sa main. À quoi bon m’engager pour protéger vos terres si vous me liez les mains à la première occasion ? Aussi bien me châtrer !
— Les soldats n’étaient que six et vous avez eu peine à les vaincre. Ceux-là sont plus d’une quinzaine. Que pourriez-vous faire à vous seul ?
— Nous serons deux, interjetai-je.
Ma mère pâlit à cette nouvelle et porta la main à sa bouche.
— C’est hors de question ! rétorqua mon père.
— Ma place est de défendre cette seigneurie, puisque mon père ne le fait pas ! rageai-je en me penchant à deux mains sur la table pour lui faire face.
— Gondemar ! Je t’interdis de me parler sur ce ton ! Tu me dois le respect !
— Alors mérite-le, pardieu, au lieu d’agir en nonne soumise !
Montbard nous interrompit en levant une main autoritaire.
— Croyez-m’en, sire, votre fils est mûr pour accomplir les
Weitere Kostenlose Bücher