L'Héritage des Cathares
les rues, à la recherche de survivants. Nous avons trouvé beaucoup d’agonisants, mais bien peu de blessés qui avaient quelque espoir de survie. Ceux-là, nous les avons emportés pour les soigner. Fermin, ton voisin de lit, faisait partie du lot. Évidemment, nous avons laissé là les croisés. Leur Dieu n’avait qu’à prendre soin d’eux.
Une fois encore, elle faisait référence à ma religion comme celle des autres. Elle inspira et j’eus l’impression qu’un frisson lui parcourait le dos. Elle se tortillait les doigts avec anxiété.
— La nuit tombait et nous allions repartir avec tous les blessés qu’il était possible d’emporter. Les croisés occupaient la ville et ils pouvaient surgir à tout moment. Soudain, j’ai cru entendre un gémissement. J’ai décidé de jeter un coup d’œil et je me suis retrouvée dans une petite ruelle. Il y avait un homme. Un croisé. On l’avait crucifié à une porte à coups d’arbalète avec un carreau planté en plein front. J’allais repartir quand il a gémi de nouveau. Intriguée, je me suis approchée. J’ai relevé sa tête et mon cœur s’est presque arrêté. Malgré le sang, la saleté et l’affreuse blessure, j’ai reconnu ton visage. J’ai cru mourir de douleur. Toi à qui j’avais pensé chaque jour depuis mon départ, je te retrouvais presque mort. Je me souviens que j’ai caressé ta joue en pleurant. Puis mes compagnons m’ont appelée. Une patrouille approchait. Tu as gémi encore une fois, comme si, même inconscient, tu m’appelais à ton secours. Tu étais peut-être un croisé, mais tu étais aussi mon ami le plus cher. Alors j’ai désobéi. J’ai hélé les brancardiers et leur ai ordonné de te détacher. Ils ont cassé les carreaux qui te clouaient à la porte et t’ont dégagé les mains. Tu as été transporté ici et je t’ai soigné de mon mieux.
— Je te dois la vie, Pernelle.
Elle hocha la tête, perplexe. Puis elle passa nerveusement une main dans ses cheveux et força un sourire.
— Je voudrais le croire, mais j’en doute fort, répondit-elle, une moue sceptique sur les lèvres. Avec une blessure pareille, tu aurais dû mourir cent fois. Au mieux, tu devrais en être diminué. Infirme ou faible d’esprit. Et pourtant, j’ignore par quel miracle, te voilà sur la voie d’une guérison complète. Tu es encore faible,
mais tes membres bougent avec aisance, tu parles normalement, tu manges. Je n’y comprends rien.
— Tu t’accordes bien peu de crédit. J’ai vu la manière dont tu as sauvé la vie de cet homme à qui tu as amputé l’avant-bras. Il est clair que tu sais ce que tu fais.
— Une amputation est chose facile. Il suffit de scier vite et net, de bien cautériser pour éviter que le patient saigne à mort, de faire un bon pansement puis de prier pour que la chair ne se mortifie pas. Un bon boucher pourrait en faire autant.
Elle soupira en secouant la tête, manifestement perplexe et un peu frustrée. Ses yeux fixèrent le plancher et ses lèvres se pincèrent.
— Soit, j’ai retiré le carreau de ton crâne, poursuivit-elle. J’ai nettoyé la plaie, j’y ai appliqué un onguent pour prévenir l’infection, je l’ai bandée et j’ai prié. Rien de plus. Mais je ne pouvais rien pour ta cervelle. Le carreau s’y était enfoncé de plusieurs pouces 1 . Je n’ose même pas imaginer le dommage qu’il aurait pu te causer.
Elle releva vers moi un regard fervent. Avec une familiarité touchante, elle posa ses mains sur mes cuisses et les serra fort.
— Non, Gondemar, je te le dis, je n’ai rien à voir avec ta survie. Dieu donne la vie et la reprend. Il t’a épargné parce qu’il a des plans pour toi. D’ailleurs, on dirait bien que ce n’est pas le premier miracle que tu vis.
Elle promena ses doigts sur la cicatrice qui encerclait ma gorge.
— Que t’est-il arrivé ?
— Un coup d’épée, mentis-je, maintenant habitué.
— Qui a fait tout le tour de ton cou ? demanda-t-elle, sceptique.
— Plusieurs coups d’épée, alors, maugréai-je.
— Bon, puisque tu ne tiens pas à en parler. Et la croix cathare que tu as à l’épaule ? Qui te l’a mise là ?
— Je. je l’ai fait mettre moi-même pour me rappeler les hérétiques que je devais occire, dis-je avec mauvaise humeur pour mettre fin à cette conversation qui prenait une tournure embêtante.
Pernelle accusa le coup sans rien
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