L'Insoumise du Roi-Soleil
attendait à Versailles. Les vaines hésitations sur le choix des tenues que nous porterions passèrent provisoirement au premier rang. La marquise me fit cadeau d’une robe magnifique, bleu et or qui, affirmait-elle, retrouvait un avenir en se glissant sur moi. Elle fit encore appel à deux jeunes caméristes dont elle ralentissait la besogne en les gourmandant pour des détails futiles. Où était le joli ruban de soie qu’elle tenait absolument à se glisser autour du cou ? On s’affolait, on ouvrait les tiroirs, renversait les effets qui venaient ajouter au désordre et à la confusion. Je vins à ce moment à passer le nez chez elle.
— Tu es déjà prête ? s’étonna-t-elle. Dieu ! que tu es belle, Hélène, murmura-t-elle les cheveux encore défaits.
Puis se souvenant de ce maudit ruban :
— Ah ! je suis perdue, pleura-t-elle alors qu’elle marchait dessus.
— Oubliez cet artifice et passez plutôt ce beau collier. Les saphirs iront avec vos yeux. Et la couleur s’accorde avec le bleu de votre robe.
— Tu me sauves, Hélène.
Puis, houspillant la pauvre soubrette qui lui tendait ses chaussures :
— Et que fait donc notre perruquier que j’ai fait appeler ?
— Il est là ! chanta un baryton.
L’homme était aussi épais que sa voix était grave. Accompagné de deux auxiliaires, il s’avança pompeusement et salua la marquise :
— Combien de temps ? demanda-t-il.
— Vous venez de le consommer tout entier, gémit-elle au bord de l’évanouissement.
D’un mouvement de manche, il somma ses seconds d’avancer l’attirail dont le plus étonnant était un tabouret sur lequel il grimpa afin de se placer au-dessus de la marquise. Puis, il claqua des mains. Un apprenti ouvrit le coffre qu’il tirait en soufflant. Le maître tendit un doigt accusateur vers une perruque placée en évidence :
— Ça. Et rien d’autre !
Sans hésiter, le jeune aspirant se saisit de l’artifice blond vénitien. Le virtuose le posa seul, et d’un geste, sur la tête de la marquise.
— Et voilà ! jeta-t-il d’une voix incroyablement forte.
La marquise se tourna vers le miroir.
— Alors ? demanda le perruquier soudainement inquiet.
— Vous êtes un génie, monsieur, intervins-je en premier.
— En es-tu convaincue ? insista la marquise.
— Aussi certaine que deux et deux font quatre, ce maestro a réussi son œuvre. Et maintenant, partons-nous ?
— Tu n’essayes pas ta perruque ? s’inquiéta-t-elle.
Le maître en couvre-chef leva un bras fort court :
— Permettez ! Un peigne suffira...
Il remonta sur son tabouret et s’attaqua à ma chevelure. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il sauta à pieds joints sur le parquet :
— Et voilà ! hurla-t-il à nouveau.
Je me plaçai face au miroir. Mes cheveux étaient peignés, sobrement. Une mèche légère tombait sur mon front et mon cou était noblement dégagé.
— J’ai triché, glissa-t-il. Pour cacher ça !
De sa brosse, il leva une boucle placée sur mon oreille. Il montrait la blessure dont Faillard m’avait gratifiée.
— Qui a pu s’attaquer à un si beau profil ? rugit-il.
— Un ami, répondis-je en souriant. Merci. En route !
Le marquis de Penhoët m’attendait à Versailles. Qu’avait-il obtenu en se rapprochant des intimes de la vicomtesse de Lancquet, auteur involontaire d’une affaire qui devait la dépasser ? Le fouet du cocher claqua sur cette interrogation.
Pendant que nous allions à la cour du Roi-Soleil, la conversation se voulut légère. La marquise me posa d’innombrables questions sur François et j’y répondis volontiers. Nous parlions comme deux femmes. Le sujet était l’amour et les hommes et, pour un peu, nous aurions pu oublier que le monde se voulait cruel. Pour y échapper, quoi de plus simple ? soutenait-elle. J’avais un père merveilleux et je vivais au pays de Dieu. Eh quoi, insistait-elle, pourquoi cet air soucieux ? Demain, tout commencerait. Et il ne lui semblait pas impossible que le roi change d’avis. Volubile et charmante, c’était sa façon d’écarter les dangers ou, du moins, de se forcer à ne pas y croire. Je gardai pour moi les paroles de la devineresse qui avait prédit joies et peines, larmes et sourires. Cette bonne amie aurait éclaté de rire. Ce n’était pas en accord avec sa foi. Pourtant, je mourais d’envie de l’entendre encore sur la Grâce divine qui, elle-même, décidait du Destin de chacun. Le mien, s’il me conduisait vers le
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