L'Insoumise du Roi-Soleil
que la vérité. Connaissez-vous seulement l’Anjou ?
— Je sais en tout cas où se trouve la Nouvelle-France 5 !
— Les sauvages qu’on y trouve sont moins redoutables que les gens en cour. Ce sont des bêtes féroces...
— À mon tour de citer le docte Blois : da l’ardore l’ardire ... L’audace vient de l’ardeur. Je n’ai peur de rien. J’irai à Versailles !
— Plaît-il ? murmura Jean-Baptiste, sonné, un instant, par cette nouvelle que je venais d’annoncer avec détermination.
— Souviens-toi. J’ai fait ce serment quand mon père est revenu à Saint Albert. Plus de tergiversations ou de lamentations ! C’est à moi de sauver les Montbellay.
— Versailles ! Mais pour y faire quoi ? gémit Bonnefoix en tordant la bouche.
— Je verrai le roi. Je lui parlerai. J’obtiendrai son pardon.
— Il faut renoncer à cette folle équipée, mademoiselle Hélène. Moi qui connais les lieux, je peux vous dire...
— Pour une fois, cesse de parler, Jean-Baptiste.
— Que faire d’autre pour vous venir en secours ?
— M’accompagner !
— Plaît-il ? répéta-t-il en balbutiant.
— Tes histoires me font croire que tu y es comme un poisson dans l’eau.
— Mieux que si je devais pêcher une carpe dans votre étang, mais...
— Plus de mais, de pourtant ou de cependant ! C’est dit. C’est fait ! Nous irons, toi et moi. Tu me guideras. Puis, j’agirai.
— Vous n’avez pas la moindre idée de ce qui vous attend.
— Eh bien, raconte !
— Pour parvenir au roi, il faut un rang.
— N’en ai-je pas ?
— Le vôtre, pardonnez-moi, n’est pas à la fête. Et s’il l’était, peut-être serait-il insuffisant, tergiversa Bonnefoix. Le rang n’est pas la panacée. Il faut savoir le tenir, mais aussi en cerner la puissance et les limites...
— Et pour cela ?
— Vous devrez maîtriser la science et les détails de l’étiquette.
— Je pourrais réciter de tête tous les préceptes écrits par le chevalier de Méré .
— Parfait. Mais ce n’est toujours pas assez.
— Quoi d’autre, encore ?
— On ne vit pas à Versailles avec un livre à la main. Le code des usages est un art qui s’interprète et s’aménage à chaque instant. Votre rang vous autoriserait-il à vous présenter au Lever du roi ? Sans doute. Pour autant, il faudra avancer à pas comptés. Et sur place, jouer des coudes, sourire, minauder...
— Tout bonnement, il s’agit de séduire. N’en ai-je pas les moyens ?
— Il y a des dangers à s’approcher trop près du soleil. Nombreuses sont celles qui s’y sont brûlé les ailes. Alors, comme les chrysalides, il en survient de plus jeunes et de plus belles. Croyez-moi. Ce n’est pas simple de plaire.
— Ne suis-je pas gracieuse ?
— De toutes les comtesses, duchesses, princesses oisives qu’il m’a été donné de contempler à la cour, pas une ne vous égale. Hélène de Montbellay, vous siégez au sommet de l’Olympe et marchez un pas devant Vénus. Votre silhouette est élancée, votre taille est menue, votre regard sculpté dans le plus merveilleux des saphirs. Je vois encore qu’une fée s’est penchée sur votre berceau pour couvrir vos cheveux de fils d’or. Pourrait-on admirer des attaches plus fines ou une gorge mieux déployée ? Et qu’en est-il de votre peau ? Je la devine douce et sucrée, et vibrante comme l’eau pure de la source...
— Tout doux, Bonnefoix !
— Ce n’est qu’un compliment... Pas moins qu’un de ceux que vous entendrez à Versailles et qui vous fera rougir et vous pâmera d’aise. Si vous cédez au discours, vous tomberez sous le joug d’un petit marquis poudré et lubrique. Il fera de vous sa maîtresse et son esclave. Vous reviendrez en compagnie d’un bâtard. Et votre père en mourra pour de bon.
— Pour une fois, ce valet bavard dit peut-être la vérité, intervint Berthe.
— Me prenez-vous tous les deux pour une idiote ?
— Pas un instant ! lança d’une voix forte Bonnefoix. L’intelligence ! Vous en êtes pourvue plus qu’il n’en faut, mais c’est de cela dont je dois à présent vous parler. À Versailles, la beauté est une arme dont on use pour soi ou contre soi. Mais elle ne suffit en aucun cas.
Jean-Baptiste pointait son doigt sur son énorme crâne et il en faisait le tour en dessinant des arabesques.
— Voici trois mots clefs qui feraient de vous une reine ou une simple suivante : la ruse et l’intelligence. Ajoutons-y le savoir.
— Crois-tu que ces qualités
Weitere Kostenlose Bücher