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Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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s’appesantir sur la ville. Ruelle coutumière – et même un
air de guitare.
    « … Monde, monde, vaste monde… »
    Cinq heures. Il ne s’est écoulé qu’une heure depuis que nous
avons commencé à comprendre qu’aujourd’hui est une défaite. Dans l’arrière-salle
du petit café, Ribas préside, comme de coutume, sans regarder personne. Une
sérénité attristée émane de son visage entouré de cheveux blancs. Portez semble
accabler Dario de sa voix sarcastique…
    … Fourvoyés par les apôtres de la coalition avec la
bourgeoisie, oui. Trahis, non. Fallait être naïfs comme certains pour croire
réellement qu’ils marcheraient…
    Dario réfléchissait, sous le coup de massue de l’échec. Des
images visuelles troublaient le cours de sa pensée. Les autos noires emportant
les parlementaires irrésolus fendaient devant l’hôtel de ville les cordons de
police. Le señor Domenico se jetait dans le petit salon notarial tendu de reps
gris perle où l’attendait Dario, lui serrait les deux mains, rassurant, exalté,
fiévreux :
    – Cher ami, vous devez comprendre. Nous devons épuiser
les possibilités politiques. Nous gagnons deux semaines de préparation, cher
ami. Dites-le bien au Comité. Nous ne reculerons jamais, jamais. Entendez-vous,
cher ami ! Jamais !
    Il tendait la main comme une prestation de serment. Dario, pris
d’une brutale envie de rire, répliquait sourdement :
    – Tant pis pour vous si nous devons nous battre seuls.
    L’allusion à « certains trop naïfs » le fouetta
maintenant, il fit une grimace dédaigneuse et lança dans l’anonymat son propre
trait, visant « le pire danger à cette heure, l’hystérie terroriste de
ceux qui prennent un échec pour une défaite, une diversion pour une catastrophe,
des hésitations pour un lâchage… état d’esprit que les fonds de certaines
officines de l’espionnage contribuent peut-être à créer… »
    – Rien n’est perdu, dit doucement Ribas. Nous ne
pouvons être vaincus aujourd’hui que par la discorde. Je passe au second point
de l’ordre du jour.
    Vers minuit, dans une rue découpée par le clair de lune
en vastes pans d’ombres, mi-partie bleus, mi-partie noirs, José Miro, qui errait
la cigarette aux lèvres rencontra Lejeune, taciturne, les paupières battues. Ils
se serrèrent la main, distraitement.
    – Quelles nouvelles ?
    Un sourire dur éclairait les traits fins de Miro. Il prit
affectueusement l’autre sous le bras :
    – T’as l’air tout chose, vieux, qu’est-ce qui t’arrive ?
    Ils marchèrent un moment sans se parler. L’ombre d’une tour
octogonale les enveloppait.
    – Maud est partie, dit enfin Lejeune, et sa voix basse
avouait une grande défaite.
    (Maud : corps usé de gamin nerveux, sans âge précis, profil
gothique, boucles brunes, gestes un peu saccadés de chatte, yeux vairs flétris
sous les paupières, bouche flétrie au pli des lèvres, mais si mobile visage, si
vivant des yeux pleins d’une interrogation mêlée d’angoisse, de rire, de
mensonge, d’avidité, de tristesse et d’on ne savait quoi encore… Maud : ses
hanches étroites, Maud. Cet homme grisonnant réprimait le désir de sangloter
comme un enfant. Il venait de marcher des heures, un cigare éteint entre les
doigts, mâchonnant entre ses dents ce nom : Maud, n’ayant qu’une idée, qui
par moments n’était plus qu’un mot, dans le cerveau dévasté, « partie »,
n’ayant dans les yeux que ce profil gothique, ces yeux vairs, ces hanches
étroites, Maud.)
    – Tu comprends, dit-il, l’autre c’est Paris. Mais, tu
ne peux pas comprendre, tu es trop jeune.
    « Rien qu’une femme », pensa Miro qu’une douleur
sauvage domptée par une joie forte faisait marcher ce soir, lui aussi, depuis
des heures, grillant une cigarette après l’autre, triste à pleurer par instants,
chantonnant l’instant suivant, peuplant les rues désertes de son pas élastique…
    – Angel est mort, répondit-il brusquement. Tu sais, le
petit Angel des mécanos. Une balle dans le ventre. Deux heures d’agonie de 5 à 7.
Nous avons eu trois morts.
    – Oui, trois morts, répéta Lejeune mécaniquement. (Maud
est partie, partie, partie, partie.)
    – Ils en ont au moins un que je connais, continuait
Miro, les yeux brillants. Angel n’avait pas repris connaissance. J’étais à son
chevet à l’hôpital. Ses râles entraient dans ma tête comme des clous, je suis
sorti de là le crâne plein de clous

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