[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
dans la lumière, dans la vérité. S’il doit combattre, à la tête d’une armée, ce sera avec l’assentiment de tous. Lui, il a noué les deux extrémités de sa vie.
Il regarde ces dignitaires atterrés qui l’entourent, cependant que peu à peu l’eau du bain dissout la crasse, la fatigue, la tension.
Comprennent-ils que ce qui survient maintenant me concerne d’une manière différente ? C’est une autre partie qui commence. Elle est hors de mon destin. C’est une nouvelle pièce. Et je suis, dans cet acte qui commence, à la fois acteur et témoin. Mais ce moi qu’ils ont connu est resté avec la Vieille Garde sur des pentes du mont Saint-Jean ou aux abords du village de Plancenoit .
Je les écoute. Mon frère Lucien voudrait recommencer le 18 Brumaire. Carnot me demande de proclamer « la patrie en danger ». Fouché et tous les autres intriguent pour me conduire à abdiquer .
Il sort du bain. Il les éclabousse. Les dignitaires reculent cependant qu’on commence à l’habiller.
— Je le sais, dit-il, les La Fayette et les Lanjuinais ne veulent pas de moi. Je le sais, je les gêne.
Il s’interrompt. Ils ont entendu comme lui, puisqu’ils tournent leurs visages creusés par l’inquiétude vers les fenêtres. Cette rumeur, ces cris, comme une houle : « Vive l’Empereur, vive l’Empereur ! » C’est le peuple.
Napoléon s’approche de la croisée. Il voit les abords de l’Élysée remplis d’une foule énorme. On gesticule, on dresse le poing. Il reconnaît les blouses des ouvriers, les tenues grises ou noires des femmes des faubourgs.
Il revient vers les dignitaires. Il tend le bras. Ils voient, n’est-ce pas ? Ils entendent ?
Mais ils parlent des Chambres, d’une commission gouvernementale formée par Fouché.
— Je crains, dit Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, qu’un grand sacrifice ne soit nécessaire.
D’Angély ! Pour qui j’ai tant fait !
— Si l’Empereur ne se déterminait point à offrir son abdication de son propre mouvement, poursuit d’Angély, il serait possible que la Chambre osât la demander.
Il ajoute même dans un murmure que la Chambre, qui a décidé de siéger en permanence, pourrait aller jusqu’à proclamer la déchéance.
Lucien s’indigne. Carnot proteste. Il faut que l’Empereur se déclare dictateur. Il y a le peuple, l’armée.
Napoléon les regarde. Il entend les cris qui se sont encore amplifiés. Le peuple est là. En effet. Mais que faire avec lui ?
— Ma vie politique est terminée, murmure-t-il.
Puis il va et vient d’un pas lent.
— Puisqu’on veut me violenter, je n’abdiquerai point. Je veux qu’on me laisse y songer en paix.
Il s’arrête devant Regnaud de Saint-Jean-d’Angély.
— Quoi que les députés fassent, dit-il, je serai toujours l’idole du peuple et de l’armée.
Il parle d’une voix posée. Est-ce de lui qu’il s’agit ? Il est sur cette scène et l’a déjà quittée. Il voit. Il analyse. Il parle. Mais une autre voix murmure en lui.
La partie est jouée. Ton destin s’est conclu. La fortune t’abandonne. Elle n’est plus attachée à tes pas. Elle t’a tout offert. Elle ne peut plus rien te donner. Elle t’a comblé. Elle s’éloigne. Pour agir, il faut être convaincu de sa bonne fortune. Et je n’ai plus en moi le sentiment d’avancer au pas du destin. Je suis seul. Je n’ai plus de guide. Je peux arracher encore par la force quelques faveurs, mais ce sont des illusions. Mon temps est fini .
— Si je disais un mot, reprend-il, les députés seraient tous assommés.
Il se tourne à nouveau vers la fenêtre. La voix de la foule est encore plus forte. « Vive l’Empereur ! »
— Mais en ne craignant rien pour moi, ajoute-t-il, je crains tout pour la France. Si nous nous querellons entre nous, nous aurons le sort du Bas-Empire, tout sera perdu.
Il sort de ses appartements. Les galeries de l’Élysée sont vides. Il reconnaît le général Thiébault qui s’avance.
Il était au Portugal, en Espagne, là où le destin a commencé à se séparer de moi .
— Sire, commence Thiébault, permettez-moi de mettre à vos pieds l’expression d’un dévouement aussi profond que respectueux.
Voilà un homme qui ne va pas l’échine basse vers les vainqueurs .
— C’est de la France qu’il faut en ce moment s’occuper.
Celui-là comprendra-t-il qu’il n’est plus question de moi ?
— Plus que jamais vous êtes son oeuvre de miséricorde,
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