Napoléon
Vitebsk, avec l’espoir d’empêcher la jonction de Bagration et de Barclay de Tolly. Il quitte Vilna le16 juillet pour Gloubokoïé et, avec un sentiment de malaise, avance à travers cette terre hostile. Maintenant que l’on a quitté la Lithuanie, impossible de se procurer le moindre renseignement... Comme le dira Caulaincourt : « On était comme un vaisseau sans boussole, seuls au milieu du vaste océan, ne sachant pas ce qui se passait autour de nous. » La faim, la soif, la pluie, et une chaleur étouffante, se succèdent. La Grande Armée continue à fondre. Les corps perdent de vingt-cinq à cinquante pour cent de leurs effectifs. Même la Garde – la moins éprouvée – ne compte plus que vingt-huit mille hommes sur trente-sept mille. On verra tout un régiment de la Jeune Garde, que l’on instruit en marchant de Saint-Denis à Gloubokoïé, tomber d’épuisement sur la route.
Enfin, voici Vitebsk. Il fait nuit lorsque Napoléon s’arrête en haut d’une colline : toute l’armée russe de Barclay est là. Les feux de ses bivouacs trouent l’obscurité. Enfin, on va se battre ! Déjà, le 27 juillet, se déroulent des combats entre les avant-postes...
— Demain sera le soleil d’Austerlitz, annonce-t-il.
Mais Barclay a appris que Bagration se dirige vers
Smolensk ; il préfère se dérober une fois de plus et se fondre dans la nuit. Cachant mal son désappointement, Napoléon fait son entrée dans Vitebsk. Il va y demeurer jusqu’au 15 août, espérant toujours que les Russes viendront l’attaquer. De nouveau, le désordre et le pillage régnent. Les blessés sont privés de tout. Même le quartier général est désorganisé :
— Berthier, s’exclame l’Empereur, je donnerais un bras pour que vous soyez à Grosbois, non seulement vous n’êtes bon à rien, mais vous me nuisez.
Lorsqu’on fait le point, on s’aperçoit que déjà cent cinquante mille hommes ont disparu. La tactique russe – volontaire ou involontaire – est bonne. Aujourd’hui, la Grande Armée – il a fallu en outre laisser çà et là des garnisons afin d’assurer les communications – ne compte pas plus de deux cent cinquante mille hommes. Comme à Vilna, Napoléon essaye, à Vitebsk, de regrouper ses forces ; de faire rejoindre les traînards, de rassembler des approvisionnements. Hélas, les rouages de la grande machine grincent...
Que faire maintenant ? La Turquie vient de signer la paix avec la Russie, et Bernadotte – le 7 juillet – en parlant de Napoléon s’est exclamé :
— Cet homme a régné trop longtemps et règne en tyran sur les nations ! Il y a trop longtemps que je meurs à coups d’épingles !
Le mari de Désirée s’apprête à rejoindre le tsar pour s’entendre avec Alexandre et lui promettre d’attaquer les troupes françaises demeurées en Allemagne.
Napoléon demande à Daru son avis. D’abord, que pense-t-il de cette guerre ?
— Elle n’est point nationale, répond le ministre ; l’introduction de quelques denrées anglaises en Russie, et même l’érection d’un royaume de Pologne ne sont pas des raisons suffisantes pour une guerre si lointaine.
Durant huit heures, Daru, courageusement, fait le procès de la campagne :
— Si les vivres manquent à Yitebsk, que sera-ce plus loin ? Les officiers que Votre Majesté envoie pour en requérir ne reparaissent plus ou reviennent les mains vides. Le peu de farine ou de bestiaux que l’on parvient à réunir est aussitôt dévoré par la Garde ; on entend les autres corps dire qu’elle exige et absorbe tout : que c’est comme une classe privilégiée. Ambulances, fourgons, troupeaux de boeufs, rien n’a pu suivre. Les hôpitaux ne suffisent plus aux malades ; on y manque de vivres, de place, de médicaments.
Et, à nouveau, les deux mots reviennent comme un leitmotiv :
— Que faire ?
Daru estime préférable de s’arrêter à Vitebsk, mais, le 12 août, la marche de l’Armée n’en reprend pas moins vers Smolensk. Assurément – Napoléon l’espère –, les Russes défendront cet important carrefour qui est, au surplus, le sanctuaire de la Vierge miraculeuse !
Et les mêmes scènes vont recommencer. Pour les Russes, il s’agit d’une véritable guerre sainte. Les paysans brûlent leurs récoltes, leurs chaumières, et il faut envoyer des détachements mobiles piller les villages hors la grand-route. Certains de ces commandos se réunissent en groupes, se choisissent un chef
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