Napoléon
franchise, Hudson Lowe, par ses mauvais procédés, aura rendu un grand service à l’Empereur, car, avec tout autre, on n’aurait pas eu de sujets de plaintes. »
Ainsi que le dira de son côté Montholon :
— Un ange du ciel n’aurait pu nous plaire s’il eût été gouverneur de Sainte-Hélène.
Et Hudson Lowe – il s’en faut – n’était pas un ange ! Sa maladresse laisse pantois. C’est ainsi que quelques jours plus tard il ose, avec une inconscience désarmante, inviter à dîner « le général Bonaparte », à Plantation house, pour rencontrer lady Loudoun – Moïra, venant des Indes et de passage dans l’île.
— Point de réponse, s’exclame Napoléon. C’est trop sot !
— Cela m’avait paru tout naturel, expliquera Lowe. J’outrepassais là mes consignes puisque le général Bonaparte aurait pu ainsi avoir l’impression d’être libre en acceptant une invitation à dîner.
Le gouverneur ayant reçu des matériaux pour construire une nouvelle maison destinée à l’Empereur, Lowe reprend le chemin de Longwood et pénètre dans le salon. Il trouve l’Empereur seul, debout, le bras appuyé sur la cheminée de pierre noire, et son chapeau sous le bras. Napoléon demeure silencieux, attendant que le gouverneur lui adresse la parole. Enfin, après un lourd silence, sir Hudson se lance :
— Monsieur, vous avez probablement su par les journaux anglais, et peut-être aussi appris par d’autres voies, l’intention du gouvernement britannique d’envoyer ici, pour être employés à votre usage, les matériaux nécessaires à la construction d’une maison, avec un mobilier convenable. Ces articles sont maintenant pour la plupart arrivés. Avant de prendre à cet égard aucune disposition, j’ai voulu savoir si vous aviez à me communiquer quelques idées particulières là-dessus.
L’Empereur ne bouge pas et ne fait aucune réponse. Voyant que ce silence se prolonge, Lowe poursuit :
— J’ai pensé, Monsieur, que peut-être l’addition de deux ou trois salons et quelques autres améliorations à votre maison actuelle effectueraient les changements à votre convenance, en moins de temps que la construction d’un nouveau bâtiment.
Il est certain que l’amélioration de l’actuelle demeure de l’Empereur aurait privé le déporté de l’un de ses sujets de plaintes. Aussi, se gardant bien de répondre à la proposition de son geôlier, il parle d’autre chose, mais « avec tant de rapidité, tant d’emportement et de passion », qu’il est difficile à Hudson Lowe de rapporter à son ministre le long discours prononcé par « le général », autrement que par ces quelques phrases :
— De quelle manière me traitez-vous ? C’était une insulte de m’inviter à dîner et de m’appeler le général Bonaparte. Je ne suis pas le général Bonaparte... Je suis l’empereur Napoléon. Est-ce que vous êtes venu ici pour être mon bourreau... mon geôlier ?
« Tandis qu’il parlait ainsi, rapporte sir Hudson, il faisait aller son bras en avant et en arrière ; sa personne restait immobile ; ses yeux et sa physionomie avaient une expression qu’on peut supposer à une personne qui a l’intention de vous intimider ou de vous irriter. Je le laissai continuer, non sans faire un effort sur moi-même, jusqu’à ce qu’il fût presque hors d’haleine. »
Profitant d’une seconde de répit, le gouverneur parvient à glisser quelques mots :
— Monsieur, je ne suis pas venu ici pour être insulté, mais pour traiter d’une affaire qui vous regarde plus que moi. Si vous n’êtes pas disposé d’en parler, je vais m’en aller.
— Je n’ai pas voulu vous insulter, Monsieur, mais de quelle manière m’avez-vous traité ? Est-ce la manière d’un militaire ?
Lowe répond qu’il est militaire « à la façon de son pays ». Si « le général » estime avoir à se plaindre de lui, qu’il l’écrive ! Il enverra sa protestation en Angleterre ! Mieux, il la fera imprimer dans les gazettes ! Napoléon ne sachant que répliquer, se voit obligé d’en venir au but de la visite d’Hudson Lowe : la nouvelle maison.
— Doit-elle être construite dans l’endroit qui me plaira, ou dans celui que vous fixerez ?
Il est probable que si le prisonnier avait indiqué les vallées presque riantes situées à l’ouest de Jamestown – du côté de la Montagne Bleue, par exemple, Lowe n’aurait pu accepter : « la sûreté du
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