Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
dans l’émeuvement que me donna ce fort sombre tableau, je
reviendrai à vous le jour même où j’aurai ma grâce obtenue.
    Quoi oyant, il
m’envisagea œil à œil et tout soudain soupira.
    — Ha !
mon Pierre ! dit-il, votre département me vieillit. Je ne suis ce jour que
trop rassis, trop pesant et trop mûr. Vous et Samson, vous voir céans en vos
vertes vigueurs, belles tiges de mon tronc, c’est jeunesse garder ! En
votre absence, mon imaginative me représentant le peu d’années qui me restent
ne chôme pas en instructions de vieillesse et de mort. Huit jours ! Que
c’est peu d’avoir bu à cette fontaine-là ! Adieu ! Gardez-vous
bien ! Et puisqu’on vous a occis votre Accla, prenez dans les écuries ma
tant belle Pompée ! Je vous la donne.
    — Quoi,
Monsieur mon père, vous me baillez votre jument !
    — Prenez,
prenez ! Point de merci ! Elle est à vous !
    Et moi,
j’eusse préféré qu’il ne me la donnât point, tant cela me fit peine qu’il se
dépouillât pour moi, voyant en ce dépouillement la sorte de désintérêt de soi
qui se trouve être par aventure, tout autant que la chicheté, un des effets de
l’âge ; duquel les atteintes n’apparaissaient que trop chez l’oncle
Sauveterre, si desséché et si claudicant en sa vêture noire qu’il me mettait
dans le pensement un vieux corbeau boiteux dans le creux d’un sillon. Mais mon
père lui-même, tant vert et vigoureux qu’il était encore, allant, venant,
besognant sa Franchou (sans compter d’autres passagers cotillons dans les mas
de la châtellenie) ne laissait point de trahir quelque pesanteur, non point
tant de corps que de cœur, et comme un amoindrissement de sa gaîté d’esprit.
    Les adieux
faits à tous en Mespech vieillissant (encore que, la merci Dieu, les enfants
n’y manquassent point, mon père y pourvoyant) je me jetai le dernier en selle
sur la belle Pompée, laquelle, fort surprise d’être montée par moi, et comme
souvent les juments, vive et pétulante, -voulut incontinent tâter un peu mes
défenses et s’essaya à lever le cul pour me faire choir. Mais je lui fis bien
assavoir que mes cuisses, ma main et mon assiette valaient bien celles de mon
père, sans toutefois la corriger, ne voulant point commencer notre mariage par
des coups. Dès qu’elle fut apazimée, combien que frémissante encore du petit
combat qu’elle venait de livrer, je lui caressai le col, admirant en la pique
du jour sa robe alezane claire et quasiment dorée, avec une blonde crinière. Et
je lui dis, la mignonnant et lui parlant d’une voix douce :
    — Ha !
belle Pompée, je suis fort aise que tu montres tant de sang, car tu as de bonnes
lieues à te mettre sous le sabot avant de hennir après tes avoines à Montaigne,
et des lieues et des lieues encore avant Paris.
     
     
    À quelque
distance du château de Montaigne, je fis arrêter ma troupe à une petite auberge
qui n’avait point mauvaise mine, et je dépêchai en avant Miroul au seigneur du
logis pour lui demander s’il consentait à nous accueillir, le prédicament nous
ayant pris de si court qu’il n’y avait pas eu moyen de l’avertir à plus grand
loisir de notre venue. Sur quoi démontant, et attachant nos chevaux à l’ombre,
le soleil de ce juillet étant encore chaud combien que le jour tirât déjà vers
sa fin, nous nous assîmes à l’aise sous une tonnelle recouverte de vigne et
l’alberguière, qui avait fort peu à se glorifier dans la chair, nous apporta un
vin si étrangement bon que ce fut bien malhonnête de notre part de le couper,
ce que nous fîmes pourtant, ayant fort soif et ne voulant point qu’il nous
tournât la tête au moment d’être admis chez M. de Montaigne. Notre gaster
criant le creux, nous requîmes du jambon, des galettes de froment, du beurre à
notre volonté et un fort beau melon. Le tout avec le vin (dont nous bûmes trois
setiers) pour cinq sols. J’opinai qu’on en baillât sept à la malitorne mais
Samson, qui avait le ménage de notre bourse, se rebéqua et je ne disputai pas
plus outre, Giacomi me disant qu’il était peu sage de tant marquer notre
passage dans la remembrance de cette bonne garce, laquelle grattait autour de
nous comme poule au pré, l’ouïe dardée en notre direction, y ayant peu de
passage sur ce chemin et peu de nouvelles à se mettre sous le bec.
    Miroul revint
nous dire au bout d’une heure que le secrétaire de M. de Montaigne nous
attendait à un proche carrefour.

Weitere Kostenlose Bücher