Prophétie
crâne.
« Confrère Shardlake ? fit-il. Que se passe-t-il ? Le portier m’a réveillé… » Il se tut, baissa le regard vers le corps recouvert, puis écarquilla des yeux horrifiés en découvrant l’eau rougie de la fontaine.
Je lui fis part de ce que je savais. Prenant une profonde inspiration, il se baissa et dégagea une fois de plus le visage de Roger. Je me retins de le prier de le laisser en paix. Un murmure d’horreur parcourut le groupe des présents, une douzaine désormais. Bealknap se trouvait parmi eux. En général friand de scandales, il contemplait la scène en silence, le teint toujours pâle, l’air toujours malade. Dorothy va les entendre bavasser, pensai-je. Il faut que j’aille la prévenir. À ce moment Barak me murmura : « Il faut que vous voyiez quelque chose. À deux pas d’ici.
— Je dois aller prévenir la femme de Roger…
— Il faut que vous voyiez cela, immédiatement. »
J’hésitai un instant, puis hochai la tête. « Monsieur l’intendant, dis-je, pourriez-vous m’excuser un court moment ?
— Où allez-vous ? demanda-t-il d’un ton furieux. C’est vous et ces jeunes gens qui avez découvert le corps. Vous devez attendre le coroner.
— Je reviens tout de suite. Je dois annoncer à Mme Elliard ce qui s’est passé. Je suis un ami. »
Apercevant du coin de l’œil un étudiant qui venait d’arriver sur les lieux et s’approchait du corps, le vieil homme se tourna vers lui et hurla : « Fichez le camp, espèce de minable clerc ! » J’en profitai pour m’esquiver.
Barak me conduisit à vingt pieds de là. « Vous voyez ces empreintes de pas ? » fit-il.
Autour de la fontaine, les étudiants et moi-même avions fait fondre la neige en la piétinant tandis que les badauds avaient laissé un réseau d’empreintes qui convergeaient toutes vers la scène du meurtre. Mais Barak désignait une double piste, l’une se dirigeant vers la fontaine et l’autre s’en éloignant, qui contournait le bâtiment où habitaient lesElliard. C’était justement l’endroit où j’avais entendu l’intrus invisible une semaine plus tôt.
Barak se pencha pour étudier les empreintes de pas. « Voyez la profondeur de celles qui mènent à la fontaine. Elles sont plus profondes que celles qui en reviennent. Comme si la personne portait quelque chose de lourd.
— J’ai entendu quelqu’un à cet endroit la veille du jour de l’an, soufflai-je. Il a escaladé le mur…
— Suivons les traces !
— Il faut que j’avertisse Dorothy…
— Elles vont vite fondre. » En effet, le soleil matinal avait apporté la première chaleur printanière et l’on entendait la neige fondue dégouliner des avant-toits. J’hésitai puis contournai le bâtiment, à la suite de Barak.
« Ce sont apparemment les empreintes d’un homme de taille moyenne, déclara Barak.
— Elles sont plus grandes que celles de Roger, en tout cas. »
Les empreintes allaient jusqu’au mur, avant de tourner brusquement vers la droite, s’arrêtant devant un lourd portail de bois. « Il est passé par là, dit Barak.
— La dernière fois, il a escaladé le mur. Si c’était la même personne, l’autre soir.
— Mais alors il ne portait pas de corps. » Il essaya d’ouvrir le portail. « C’est fermé à clef.
— Seuls les avocats possèdent les clefs. Le verger se trouve de l’autre côté, puis c’est le terrain de Lincoln’s Inn Fields. J’en possède une, mais elle est dans mon cabinet.
— Faites-moi la courte échelle », dit Barak. Je fis un étrier de mes mains et Barak grimpa, posant ses coudes sur le rebord du mur. « Les empreintes continuent jusque dans le verger », annonça-t-il, avant de sauter par terre. « Il a transporté Roger depuis le verger ? Ç’a dû être bigrement lourd ! Dites-moi dans quel tiroir se trouve la clef et je vais courir la chercher. »
J’hésitai. « Je devrais retourner là-bas. C’est à moi de mettre Dorothy au courant. Elle peut voir la fontaine de sa fenêtre…
— Je vais y aller tout seul. Tout de suite, avant que les empreintes fondent.
— Tu ne sais pas ce que tu risques de trouver à l’autre bout, l’avertis-je.
— Il est parti depuis longtemps, mais je vais suivre les empreintes jusqu’au bout. Il nous faut découvrir le maximum d’indices. Vous savez aussi bien que moi que si un assassin n’est pas rapidement arrêté, la plupart du temps on ne le retrouve jamais… Et
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