Prophétie
du vin fort, Margaret ?
— Nous avons de l’eau-de-vie, monsieur. Je vais aller la chercher. Monsieur… en bas, dehors… c’est le maître ?
— Oui, hélas ! Apportez l’eau-de-vie. Et allez chercher un vêtement plus chaud pour votre maîtresse. Il ne faut pas qu’elle attrape froid. »
Je conduisis Dorothy dans le salon et l’installai dans un fauteuil devant le feu. Jetant un regard à l’entour, je me rappelai l’agréable soirée passée là, une semaine plus tôt. Dorothy tremblait : je compris que l’effroi passé elle subissait le choc.
La servante revint, drapa une robe de chambre chaude sur ses épaules et lui donna un verre d’alcool, mais Dorothy tremblait tellement que je le lui ôtai des mains.
« Restez avec elle, dis-je à Margaret. Au cas où elle aurait besoin de quelque chose.
— Le pauvre maître… » Elle apporta un tabouret près de sa maîtresse et s’affala dessus, elle aussi en état de choc.
« Allons, dis-je doucement à Dorothy. Bois ceci. Ça va te remonter. » Livide, ses joues rebondies affaissées, elle ne résista pas lorsque je portai le verre à ses lèvres et l’aidai à boire comme si c’était une enfant. Au dîner, l’autre soir, je lui avais dit qu’elle faisait beaucoup plus jeune que son âge, mais, les traits tirés, elle était soudain vieillie. Retrouverait-elle jamais son sourire radieux et espiègle ? me demandai-je tristement.
L’eau-de-vie fit rosir son visage et elle parut reprendre lentement ses esprits, sans cesser de trembler.
« Matthew, dit-elle d’un ton serein, il paraît que c’est toi qui as trouvé Roger.
— Ce sont des étudiants qui l’ont découvert. Je passais par là et les ai aidés à soulever le corps.
— Au moment où j’entrais dans le salon j’ai entendu un bruit dehors. » Elle fronça les sourcils, comme si un lointain souvenir lui revenait en mémoire. « Quand j’ai vu l’eau toute rouge de la fontaine et les gens qui se tenaient devant, je me suis demandé ce qui pouvait bien être arrivé. Puis j’ai aperçu le corps gisant sur le sol. J’ai compris que c’était Roger. J’ai reconnu ses vieilles bottes de cuir. » Elle hoqueta et je crus qu’elle allait se mettre à pleurer, mais au contraire elle fixa sur moi un regard furieux.
« Qui a fait ça ? lança-t-elle. Qui a commis cet acte atroce ? Et pourquoi ?
— Je n’en sais rien. Dorothy. Où est allé Roger, hier soir ?
— Il… Il est sorti. Pour rencontrer son nouveau client pro bono .
— Le même client qu’il est allé voir jeudi ? Quand je l’ai quitté après notre visite chez le Dr Malton, il m’a dit qu’il avait rendez-vous avec un client pro bono . Il m’a indiqué qu’il avait reçu une lettre à propos de ce dossier.
— Oui, oui. » Elle avala sa salive. « Elle est arrivée mardi. L’expéditeur était un avoué. Oui, je m’en souviens. Il s’appelait Nantwich.
— Roger a-t-il dit d’où venait la lettre ?
— D’un endroit près de Newgate, il me semble. Tu connais ces avoués qui servent d’intermédiaires… La moitié d’entre eux n’ont même pas pignon sur rue. Ayant appris que Roger travaillait bénévolement pour des pauvres, il lui a demandé s’il pouvait rencontrer son client dans une taverne de Wych Street, jeudi soir, car l’homme travaillait la journée.
— Tu as vu la lettre ?
— Je n’ai pas cherché à la voir. J’ai trouvé bizarre cette demande de rendez-vous dans une taverne, mais la curiosité de Roger était piquée, et tu connais sa générosité… » Elle se tut brusquement et étouffa un sanglot. Ses explications lui avaient un instant fait oublier que Roger n’était plus et, lorsqu’elle s’en souvint, l’horreur de sa mort la frappa avec d’autant plus de force. Elle me fixa d’un air hagard. Je lui saisis la main. Elle était glaciale.
« Dorothy. Je te prie de m’excuser mais je dois te poser cette question : que s’est-il passé à ce rendez-vous ?
— Rien. Le client n’est pas venu. Puis une deuxième lettre est arrivée, le Vendredi saint, glissée sous la porte. L’avoué présentait ses excuses, expliquant que le client n’avait pu se rendre à la taverne, et priait Roger de le rencontrer hier soir, au même endroit. Je n’ai pas non plus vu cette lettre, ajouta-t-elle d’une petite voix.
— Et Roger est allé au rendez-vous, bien sûr. Moi, je ne m’y serais pas rendu », dis-je en souriant
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