Qui ose vaincra
Bergé rejoint Petrakis.
« Ça doit être
truffé de grottes, là-dedans ?
— Vraisemblablement,
mon capitaine. La Crète entière n’est qu’un vaste gruyère.
— C’est bon, allons-y !
Tâchons de trouver un refuge avant le jour. »
Le commando trouve une
grotte sans difficulté. Sa profondeur est telle qu’elle leur permet de s’y
dissimuler en toute quiétude. Embrassant un vaste panorama, les parachutistes
surplombent la vallée d’une cinquantaine de mètres. Ils savent qu’ils devraient
dormir, mais ne peuvent s’y résoudre. À plat ventre, protégé par deux rochers
entre lesquels il a pu passer ses jumel les, Bergé scrute le paysage, ne peut se décider à
abandonner son poste.
Vers 8 heures, lorsque
le soleil commence à chauffer la pierre, le capitaine constate que la provision
d’eau a dangereusement diminué : les hommes ont mangé et lui sans se
rationner.
I’eau va nous causer un
problème que nous n’avons pas suffisamment
envisagé, constate Jellicœ.
Exact, approuve Bergé, il
y a un puits à huit cents mètres en bas dans le champ. Petrakis va tenter d’y aller. »
Avec l’aube, des paysans
ont fait leur apparition. Petrakis revêt des vêtements civils et quitte ses
amis. À la jumelle, Bergé et Jellicœ observent sa progression, évaluent la
réaction des Crétois à son arrivée. Tout semble bien se passer : les
paysans aident l’officier grec à remplir deux sacs de toile.
À son retour Petrakis
est optimiste et rassurant.
« Ils ne m’ont pas
posé de questions, ce sont des braves gens, ils nous ont aperçus ce matin, nous
ont pris pour une patrouille d’Allemands. Je ne les en ai pas dissuadé. D’après
eux c’est rare. En conséquence, je pense que nous pouvons tenter de marcher de
jour. Si nous rencontrons d’autres paysans, ils auront vraisemblablement le
même réflexe que ceux-là.
— Je ne prends pas
le risque, tranche Bergé. Nous partirons à la tombée de la nuit. Vous, Costas, vous
attendrez ici, vous n’avez pas l’entraînement nécessaire pour suivre notre
cadence. Après l’opération nous vous rejoindrons à cette grotte. Vous nous
aiderez à entamer notre fuite vers le sud. »
Douze heures de repos
dans la grotte. À tour de rôle, les hommes se forcent à dormir. À 8 heures du soir,
le jour baisse. Ils se préparent. La détente a renforcé leur confiance. Ils
bavardent. Mouhot, Léostic et Sibard se montrent plus familiers qu’ils ne l’ont
jamais été à l’égard de Bergé qui vient de leur annoncer gaiement :
« Je voulais vous
signaler que depuis trois mois je suis commandant. J’avais décidé de ne faire
état de ma promotion qu’après ma première mission. En conséquence, tant que les
avions n’auront pas sauté, vous pouvez continuer à m’appeler « mon
capitaine ». Après le feu d’artifice si l’un de vous s’avise de ne pas m’honnorer
de mon nouveau grade, au retour je le porte au rapport. Compris ? »
En riant, les S.A.S. félicitent
leur chef. Mis en confiance par l’ambiance, Léostic se lance :
« Je voudrais vous
poser une question impertinente, mon capitaine. » Bergé sourit.
« C’est le jour ou
jamais. On t’écoute.
— Le discours à
bord du Midway sur Malte, l’issue de la guerre qui peut dépendre de
notre mission, et toute la musique, c’était des salades pour nous gonfler, ou c’est
vrai ? »
Prenant Bergé de vitesse,
Jellicœ répond :
« Je pense que rien
n’a jamais été plus vrai. Évidemment il faut entrer dans les hypothèses et la
fiction. Mais imagine que l’on perde Malte comme nous avons perdu la Crète :
les Allemands deviendraient les maîtres absolus de la Méditerranée, ça leur
permettrait de nous écraser au Moyen-Orient, vraisemblablement de Iibérer très
vite les forces considérables de Rommel qui pourraient foncer sur le Caucase et
prendre en tenaille le front russe. Pour revenir aux choses concrètes, il y a
une certitude : si le convoi d’Alexandrie n’arrive pas à sa destination, Malte
est condamné.
« Et l’on peut
considérer que le destin de ce convoi se trouve aujourd’hui entre nos mains. Ce
ne sont pas des salades comme tu dis.
Merci, capitaine, bredouille
Léostic, je ne voulais pas être irrespectueux, je voulais savoir,
— Tu sais. »
Mouhot allume une
cigarette, hoche la tête, songeur, et déclare comme s’il se parlait à lui-même :
Je ne pensais pas qu’un
jour je
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