Robin
raison : ces gens n’avaient personne
pour les conduire, et nulle part où aller. Pour Iwan, pour chacun d’entre eux,
c’était l’Elfael ou rien.
Bran luttait contre lui-même,
indécis quant à la décision à prendre. Seigneur, ayez pitié de moi, pensait-il, je ne peux pas les abandonner. À cet instant précis, un nouveau chemin
s’ouvrit devant lui, il le voyait distinctement. « Inutile de combattre
les Ffreincs, déclara-t-il brusquement.
— Ah bon ? s’étonna Iwan.
Je doute qu’ils se rendent sur une simple demande, même si ce ne serait pas
pour me déplaire, soit dit en passant.
— As-tu oublié, Iwan ?
Notre voyage à Lundein, quand nous avons parlé au juge royal ? Te
rappelles-tu ce qu’il a dit ?
— Oui, admit le guerrier, je
m’en souviens. Mais en quoi cela nous aiderait-il ?
— Ce n’est ni plus ni moins
que notre salut ! » Iwan et Siarles échangèrent des regards perplexes
par-dessus le feu. À l’évidence, ils ne comprenaient pas. « Le cardinal
nous a dit qu’il annulerait la concession du baron de Braose contre une somme
de six cents marks. Il nous suffit donc de racheter l’Elfael au roi.
— Six cents marks !
marmonna Siarles, éberlué. As-tu déjà vu pareille somme ?
— Jamais, concéda Bran. En
vérité, je ne sais même pas s’il existe autant d’argent au-delà des Marches.
Mais les termes ont été fixés par un représentant du roi. Le cardinal a dit que
nous récupérerions l’Elfael pour six cents marks.
— Oui, réfléchit Iwan, qui se
frottait le menton d’un air sceptique, c’est ce qu’il a dit, et ça ne me paraît
pas davantage faisable aujourd’hui.
— C’est une sacrée somme, oui,
mais pas hors de portée. De toute façon, lever et nourrir une armée d’un
millier d’hommes nous reviendrait bien plus cher encore, sans même parler des
armes et des armures. Ça nous coûterait dix fois plus que ce que le cardinal
demande. »
Ses deux compagnons le
considérèrent en silence, occupés à calculer l’énormité de la somme en jeu.
Bran laissa ses paroles infuser un moment, puis ajouta : « Cela dit,
je suis d’accord pour les chevaux.
— Vraiment ? s’étonna
Siarles, interdit.
— Oui, mais pas un millier.
Trois ou quatre suffiront.
— Qu’allons-nous pouvoir faire
de trois chevaux ?
— Commencer à rassembler les
six cents marks dont nous avons besoin pour racheter notre patrie. »
QUATRIÈME PARTIE
L’APPARITION
CHAPITRE 30
Dix chariots chargés de sacs d’orge
et de seigle, de haricots secs et de pois, les côtés garnis de bœuf et de porc
fumé, gravissaient lourdement la piste qui traversait la forêt. L’expédition du
baron Neufmarché avait passé toute la matinée à peiner dans une pente venteuse,
et à présent la crête était en vue. En plus des chariots, le baron avait
dépêché une escorte armée : cinq soldats sous les ordres d’un chevalier,
tous équipés d’un haubert en cottes de mailles, d’une épée et d’une lance, avec
un bouclier et un casque d’acier accrochés derrière leur selle. Leur présence
était censée dissuader le comte Falkes, ou quiconque, de s’emparer des vivres
destinés au peuple affamé de l’Elfael.
La journée était chaude et
brumeuse, les cieux presque sans nuage – mais le temps semblait se couvrir
à l’ouest. La route, bien que pleine d’ornières et de bosses, était aussi sèche
qu’un parchemin. Un silence soporifique enveloppait les bois, comme si les
arbres eux-mêmes sommeillaient au soleil. Les charretiers ne brusquaient pas
trop leurs bêtes car outre la chaleur, les chariots étaient lourds et ils
préféraient ne pas les fatiguer inutilement. La nourriture arriverait quand
elle arriverait, voilà tout.
Les six gardes de tête marquèrent
une pause en haut de la crête, le temps que le cortège les rejoigne. Depuis ce
poste d’observation, ils pouvaient voir la verte vallée de l’Elfael s’étendre
devant eux, les invitant à se rendre au nord. « Quelle tâche fastidieuse,
murmura le chevalier qui menait l’escorte. » Se tournant vers un de ses
hommes, il ajouta : « Richard, va leur dire que nous allons pousser
plus loin. Il y a un gué juste là-bas. » D’un doigt, il indiqua un endroit
en bas de la pente où une rivière coupait la route avant de poursuivre sa
descente zigzagante dans la vallée. « Nous allons faire boire les chevaux.
Nous les attendrons là-bas. »
L’homme d’armes
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