Robin
titans des bois. Poussant parmi ces
géants, bien à l’abri, on trouvait des arbres plus jeunes et plus petits, ainsi
que des fourrés de noisetiers et des hêtres. Quant à la route, elle était
bordée de mûriers sauvages qui formaient de chaque côté une haie si épaisse et
luxuriante qu’en faisant trois pas hors du chemin, quiconque deviendrait
invisible.
« Pensez-vous qu’il soit sage
de rester sur la route ? s’enquit le prêtre. Les marchogi l’empruntent
certainement eux aussi.
— Je n’en doute pas, répondit
Bran, mais emprunter un autre chemin nous prendrait bien trop de temps. Si nous
restons attentifs, nous les entendrons arriver bien avant qu’eux-mêmes nous
entendent, et nous pourrons facilement sortir de la route pour nous
cacher. »
Iwan, le visage tendu de douleur,
demeurait silencieux. Frère Ffreol se rangea à l’avis de Bran, et tous trois
reprirent leur progression.
« Ne pensez-vous pas que nous
aurions déjà dû voir les Ffreincs à l’heure qu’il est ? fit remarquer le
moine au bout d’un moment. S’ils étaient pressés d’atteindre l’Elfael, nous les
aurions certainement déjà croisés. Sans doute ont-ils fait halte pour la nuit.
Dieu soit loué.
— Vous en remerciez
Dieu ?
— Si fait, admit le moine.
Cela signifie que les Cymry auront au moins une nuit pour cacher leurs biens et
se mettre à l’abri.
— Une nuit, railla Bran. Tant
que ça !
— Des guerres ont changé de
cours pour moins que ça, fit observer le prêtre. Si la flèche du Conquérant
n’avait loupé que d’un doigt l’œil d’Harold, les Ffreincs ne seraient pas là
aujourd’hui.
— Sans doute, mais si Dieu
voulait vraiment qu’on chante Ses louanges, il aurait sans doute commencé par
empêcher ces infects Ffreincs et leurs immondes marchogi de venir ici.
— Seriez-vous investi de
l’esprit divin pour tout savoir de Ses créatures, en bien comme en mal ?
— Je n’ai pas besoin de
l’esprit divin pour savoir que lorsqu’un Normand frappe à votre porte, c’est
toujours mauvais signe, répliqua Bran avec nonchalance. Je préfère cette doctrine
à toutes celles que l’évêque Asaph pourrait professer.
— Que Jésus vous pardonne
pareille irrévérence, soupira le prêtre.
— Irrévérence ou pas, c’est la
stricte vérité. »
Ils poursuivirent leur route en
silence. Au coucher du soleil, les ombres commencèrent à se fondre sur le
chemin, pour s’enfoncer sous les arbres et les broussailles ; les bruits
alentour se firent plus étouffés, furtifs, comme la forêt se retirait sur
elle-même pour la nuit.
La route devenant plus raide à
mesure qu’ils s’approchaient de la crête, Bran ralentit le pas. En à peine
quelques minutes, l’obscurité s’était étendue au point que l’espace entre les
arbres était désormais aussi sombre que les troncs noirs eux-mêmes ; la
route brillait tel un pâle ruban fantomatique s’étirant vaguement dans la nuit
tombante.
« Je crois que nous devrions
faire halte, suggéra frère Ffreol. Il va bientôt faire trop sombre pour
continuer. Nous pourrions nous reposer et manger quelque chose. Sans compter
que j’aimerais m’occuper de la blessure d’Iwan. »
Bran était d’avis de chevaucher
toute la nuit, mais un coup d’œil au guerrier blessé le convainquit du
contraire. Aussi capitula-t-il, laissant le moine se mettre à l’ouvrage. Ils
attachèrent les chevaux et s’installèrent au pied d’un chêne juste hors de vue
de la route, mangèrent quelques bouchées de pain accompagné d’un peu de fromage
dur, puis se préparèrent pour la nuit sous les branches protectrices de
l’arbre. Enroulé dans sa cape, Bran dormit d’un sommeil agité, et se releva dès
qu’il fit suffisamment jour pour distinguer les arbres des ombres.
Après avoir réveillé Ffreol, il
s’approcha d’Iwan et le toucha de la main. Le champion ouvra aussitôt les yeux.
Bran s’agenouilla auprès de lui : « Comment te sens-tu ?
— Mieux que jamais »,
répondit Iwan en tentant de se redresser. Une douleur aiguë le fit se recoucher
aussitôt. Avec force grimaces, il inspirait par la bouche, haletant comme un
chien essoufflé. « Peut-être que je vais réessayer, dit-il à travers ses
dents serrées, un peu plus doucement cette fois.
— Attendez un peu, intervint
Ffreol en tendant sa main. Laissez-moi voir votre bandage. »Il ouvrit la
chemise du colosse et examina le pansement enroulé autour
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