Taï-pan

fétide.
    « Rien, Liza. Le vent a tourné, c’est tout. Dors. »
    Mais Liza se leva lourdement et traversa la cabine.
    « Qu’est-ce que tu fais ?
    — J’ouvre le hublot. »
    Brock se retourna et ferma les yeux, mais il savait que le sommeil l’avait quitté. Il sentit le vent s’engouffrer dans la cabine.
    « Il va y avoir du brouillard bientôt », dit-il.
    Liza se recoucha ; le matelas de paille grinça. Elle s’installa confortablement sous les couvertures.
    « C’est l’argent qui te fait souci, pas vrai ?
    — Ouais.
    — T’en fais donc pas maintenant. Demain, il fera jour. »
    Elle bâilla bruyamment, se gratta une piqûre de punaise et ajouta :
    « Ce sera merveilleux de retrouver la terre ferme. Combien de temps il faut pour construire une maison ?
    — Pas trop longtemps.
    — Ce bal que va donner Struan. C’est bien un soufflet pour toi.
    — Ridicule. Dors, grogna Brock, sur ses gardes.
    — Bien sûr, si on était habillés comme il faut, ça lui rendrait son soufflet, pas vrai, Tyler ? »
    Brock gémit mais prit soin de ne pas être entendu. La nouvelle du bal avait balayé la flotte dès l’instant où Struan l’avait annoncée à Skinner. Tous les maris d’Asie avaient maudit le Taï-pan, car ils savaient qu’il leur avait volé leur tranquillité. Et tous les hommes s’énervaient. Les paris étaient ouverts. Shevaun Tillman était la favorite des parieurs.
    « Tu veux dire que tu répondras à ses canons par des beaux atours ? Bonne idée, Liza. Tu as l’air tout ce qu’il y a d’élégante dans cette robe rouge que je t’ai…
    — Cette vieille loque ? protesta Liza avec un reniflement de mépris. Tu veux rire ?
    — Vieille, tu dis ? Mais tu ne l’as mise que trois ou quatre fois. Je trouve qu’elle…
    — Trois ans que je la porte. Et toi, tu vas avoir besoin d’un habit neuf et d’une culotte et d’un beau gilet fantaisie et tout.
    — J’aime bien les frusques que j’ai. Je…
    — Il serait temps que je fasse des achats. Avant que toute la bonne soie d’Asie soit achetée, et toutes les couturières retenues. Demain, je vais à Macao. Avec le Gray Witch .
    — Mais, Liza ! Pour un idiot de bal que Dirk…
    — Je partirai par la marée de midi.
    — Oui, Liza », soupira Brock, sachant fort bien que rien n’en ferait démordre sa femme.
    La peste soit de Struan ! Mais en dépit de sa rage, Brock était passionné par le prix et la compétition. Ça alors, c’était une idée merveilleuse ! Merveilleuse ! Pourquoi diable j’ai pas pensé à ça ? Ce vérolé de Struan.
    Liza arrangea son oreiller et continua de songer au bal. Elle avait déjà décidé que Tess remporterait le prix. Et l’honneur. À n’importe quel prix. Oui, se répéta-t-elle, à n’importe quel prix. Mais comment persuader Tyler de laisser Tess aller au bal ? Il avait une tête de cochon, quand il était question d’elle.
    « Je crois qu’il serait temps de penser à notre Tess, dit-elle.
    — Quoi, Tess ?
    — Il serait temps de lui chercher un parti.
    — Quoi ? s’écria Brock en se redressant. Tu as perdu la tête ? Tess est tout juste sortie de ses couches. Elle a à peine seize ans !
    — Quel âge j’avais quand tu m’as épousée ?
    — C’est pas la même chose, bon Dieu ! T’étais vieille pour ton âge ! Les temps ont changé. Un parti pour Tess ? Tu es malade de la tête, femme. Et puis en voilà des choses à dire au milieu de la nuit ! Tâche de ne pas en parler encore une fois, sinon ce sera ma ceinture sur le bas de ton dos ! »
    Il se retourna rageusement et ferma les yeux.
    « Oui, Tyler », murmura Liza en souriant.
    Elle ne lui reprochait pas les corrections qu’elle avait reçues. Elles avaient été rares, et jamais violentes ni quand il avait bu. Et puis elles étaient loin. Elle vivait avec lui depuis vingt ans, et elle était satisfaite de son homme.
    « Liza ? murmura Brock, la tête toujours tournée. Est-ce que Tess… est… qu’elle sait… les choses, tu sais ?
    — Sûr que non, protesta Liza, scandalisée. Je l’ai élevée comme il faut !
    — Ma foi, serait peut-être temps que tu la prennes à part et que tu lui dises, fulmina-t-il en se redressant de nouveau. Et tu ferais bien de la surveiller. Par la Croix, si jamais j’en prends un à renifler autour de Tess… qu’est-ce qui te fait croire qu’elle est assez grande ??? Elle t’a dit quelque chose ? Elle a