Taï-pan
suis ici, j’ai appris à savoir ce que tu étais. Tueur. Assassin. Pirate. Trafiquant d’opium. Adultère. Tu vends et tu achètes des êtres humains. Tu as engendré des bâtards et tu en es fier et ton nom pue au nez des gens convenables.
— Quels gens convenables ?
— Tu voulais me voir. Me voici. Dis-moi ce que tu veux et qu’on en finisse. J’en ai assez de te voir jouer au chat et à la souris avec moi. »
Struan ramassa un havresac et le jeta sur son épaule. « Viens, dit-il.
— Pourquoi ?
— J’ai à te parler en privé.
— Mais nous sommes seuls, ici ! »
D’un mouvement de tête, Struan montra les navires dans la rade.
« Il y a des yeux, là-bas. Je les sens qui nous observent. »
Il tendit l’index vers la plage et le fond de la vallée où se pressaient Chinois et Européens. Des marchands arpentaient déjà leur nouvelle terre. Des enfants jouaient. Puis il se tourna vers un sommet, à l’ouest.
« Nous sommes observés de partout. C’est là-haut que nous allons. »
La montagne s’élevait d’au moins quatre cents mètres et ses pentes abruptes semblaient hostiles.
« Non, dit Culum.
— C’est trop loin pour toi ? »
Struan vit de la haine dans les yeux de son fils, et il attendit une réponse. Culum ne dit rien.
« Je croyais que tu n’avais pas peur. »
Il tourna les talons et descendit de la colline, pour remonter vers les contreforts de la montagne. Culum hésita, la peur au ventre. Enfin il suivit, maîtrisé par la volonté de Struan.
Tout en grimpant, Struan savait qu’il jouait un jeu dangereux. Il ne s’arrêta pas et ne se retourna pas une fois, tant qu’il n’eut pas atteint le sommet. Le vent y soufflait et la terre était rocailleuse et dénudée. Struan se retourna alors et il vit Culum, tout en bas, qui montait péniblement.
Il tourna le dos à son fils.
Le panorama immense était admirable, d’une grandiose beauté presque effrayante, le soleil haut dans le ciel bleu, le Pacifique un tapis bleu et vert. Les montagnes brun-vert des îles semblaient posées sur ce tapis, Pokliu Chau au sud-ouest, Lan Tao, la grande île, plus importante que Hong Kong, à quinze milles à l’ouest, et les centaines d’îlots arides et de récifs sombres qui entouraient l’archipel de Hong Kong. À la jumelle, il distinguait nettement les navires au mouillage et, au nord, le continent chinois. Il voyait des flottes de jonques et de sampans remontant le chenal de Lan Tao pour aborder Hong Kong par l’ouest tandis que d’autres remontaient dans l’estuaire de la Rivière des Perles. Aux quatre points cardinaux, il y avait une circulation intense, sur mer, frégates en patrouille, jonques de pêche, sampans, mais pas de navires de commerce. Allons, pensa-t-il, encore quelques semaines, la fin de la seconde guerre, et les marchands régneront sur les mers.
Culum suivait tant bien que mal la piste de Struan. Il était à bout de forces et seule sa volonté obstinée poussait ses pieds l’un devant l’autre. Les ronces déchiraient ses vêtements et lui griffaient la figure. Mais il grimpait toujours.
Enfin, il atteignit la crête, les poumons en feu, chancelant dans le vent.
Struan était assis par terre, à l’abri d’un rocher. Une nappe était étalée et il y avait un repas et une bouteille de vin.
« Tiens, petit », dit Struan en lui offrant un verre de vin.
Hors d’haleine, Culum prit le verre et but mais le vin coula surtout sur son menton. Il s’essuya et respira à grands coups, la bouche ouverte.
« Assieds-toi. »
Culum fut ahuri de voir son père lui sourire avec bienveillance.
« Allons, viens, petit. Assieds-toi, je t’en prie.
— Je… je ne comprends pas…
— La vue est plus belle, d’ici, n’est-ce pas ?
— Un instant tu es Satan et puis…, haleta Culum. Maintenant, là… non, je ne comprends pas.
— J’ai apporté du poulet froid et du pain. Il y a une autre bouteille de vin. Cela te convient-il ? »
Culum se laissa tomber sur le sol, complètement épuisé.
« Du poulet ?
— Eh bien, ma foi, tu n’as pas pris ton petit-déjeuner, je suppose ? Tu dois mourir de faim.
— Pour la colline, je…
— Reprends ton souffle. Repose-toi, et puis mange. Je t’en prie. Tu n’as pas dormi, ces deux dernières nuits. C’est pas bon de discuter l’estomac vide. Mange lentement, et pas trop, sans quoi tu seras malade. C’est une rude montée, pour venir ici. Moi aussi, je suis
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