Taï-pan
parte à travers le monde pour faire ce qu’il peut de ce monde et de lui-même. N’est-ce donc pas la raison de la vie ? Quand bien même Ronalda est un joli brin de fille et que j’aime mes enfants, un homme doit faire ce qu’il doit. N’est-ce pas pour cela qu’on vient au monde ? Si le laird, le seigneur des Struan, n’avait pas jugé bon de s’emparer de toutes les terres du clan et de les clore de murs et de nous jeter tous dehors – sûr, nous, ceux de sa race qui travaillaient la terre depuis des générations – je serais devenu un paysan, comme mon père avant moi. Sûr, et content de l’être. Mais il nous a envoyés dans un sale faubourg puant de Glasgow et il s’est emparé de toutes les terres, pour devenir Earl of Struan, et il a brisé le clan. Alors nous sommes presque morts de faim et j’ai pris la mer et le joss nous a sauvés et maintenant la famille a de quoi. Toute la famille. Parce que j’ai pris la mer. Et parce que la Noble Maison a vu le jour.
Struan avait très vite appris que l’argent était la puissance. Et il comptait utiliser cette puissance pour détruire l’Earl of Struan et racheter les terres du clan. Il ne regrettait rien. Il avait découvert la Chine et la Chine lui avait donné ce que jamais sa patrie n’aurait pu lui offrir. Pas seulement la fortune – la richesse en soi n’était qu’une obscénité. Mais la fortune et un but pour la fortune. Il avait une dette envers la Chine.
Et il savait que s’il rentrait au pays, s’il devenait membre du Parlement et ministre, et brisait le comte et sertissait Hong Kong comme un joyau dans la couronne de Grande-Bretagne, il reviendrait toujours. Car son véritable but – ignoré de tous, presque secret pour lui, la plupart du temps – il lui faudrait des années pour l’atteindre.
« Il n’y a jamais assez de temps, murmura-t-il en levant les yeux vers la montagne dominatrice. Nous l’appellerons le Peak », dit-il distraitement.
Encore une fois, il eut l’impression, étrange et subite, que l’île le haïssait et voulait sa mort. Il sentait sa haine autour de lui et, perplexe, il se demanda pourquoi…
« Dans six mois, tu régneras sur la Noble Maison, répéta-t-il d’une voix plus dure.
— Je ne peux pas ! Pas tout seul.
— Un taï-pan n’est jamais seul. C’est la joie et le malheur de cet état. »
Par-dessus l’épaule de Robb, il vit le bosco qui s’approchait.
« Oui, monsieur Mac Kay ?
— Sauf votre respect, monsieur. Permission de border l’artimon ? »
Mac Kay était un petit homme trapu, aux cheveux tressés en une petite cadenette maigre et noire de goudron.
« Sûr. Double boujaron à tous les hommes. Veillez à tout.
— Sûr. Bien, monsieur.
Mac Kay s’éloigna rapidement.
Struan se tourna vers Robb, qui ne fut conscient que des étranges yeux verts qui semblaient le baigner de lumière.
« J’enverrai Culum à la fin de l’année. Il aura fini son université. Ian et Lechie prendront d’abord la mer, et puis ils suivront. À ce moment-là, ton garçon Roddy sera assez grand. Grâce à Dieu, nous avons assez de fils pour prendre notre suite. Choisis-en un pour te succéder. Le Taï-pan doit toujours choisir celui qui lui succédera et choisir la date. »
D’un air résolu, il tourna le dos au continent et murmura :
« Six mois ! »
Puis il s’en alla. Robb le suivit des yeux, et le détesta soudain, détesta Struan, et l’île et lui-même. Il savait qu’il ne serait jamais un vrai taï-pan.
« Voudriez-vous boire avec nous, messieurs ? disait Struan à un groupe de marchands. Un toast à notre nouveau foyer ? Il y a du brandy, du rhum, de la bière, du xérès, du whisky et du champagne. »
Il désignait son canot, où ses hommes débarquaient des tonnelets et dressaient des tables. D’autres chancelaient sous des plats gigantesques chargés de viandes froides – rôtis, poulets, jambons, et vingt cochons de lait et des côtes de bœuf –, portaient des miches de pain, des pâtés de porc, des saladiers de chou froid cuit avec du gras de jambon, des régimes de bananes de Canton, trente à quarante jambons fumés, des tartes aux fruits confits, des verres de cristal et des chopes d’étain, et même des baquets de glace – que lorchas et clippers avaient apportée du nord – pour les bouteilles de champagne.
« Voilà un petit-déjeuner, pour ceux qui ont faim. »
On lui fit ovation et les marchands
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