Taï-pan
souvenez-vous. Venez, dit-elle en désignant la chambre. Nous serons plus à l’aise à côté. »
Elle alla à la coiffeuse, et versa deux cognacs, puis elle murmura, avec le même sourire pervers :
« Eh bien, qu’avez-vous ? C’est la première fois que vous entrez dans la chambre d’une jeune fille ?
— Tu veux dire la chambre d’une putain ! »
Elle lui tendit un verre, et il le prit.
« Nous nous ressemblons, Taï-pan. Nous préférons tous deux des compagnons de lit chinois.
— Par Dieu, infâme petite traînée, tu…
— Ne jouez pas les hypocrites ; cela ne vous sied pas. Vous êtes marié et vous avez des enfants. Pourtant, vous avez de nombreuses autres femmes. Des Chinoises. Je suis au courant de tout. J’en ai fait mon affaire, de tout apprendre.
— C’est impossible ; tu n’es pas Mary Sinclair, murmura-t-il, presque pour lui-même.
— Pas impossible. Surprenant, oui, je vous l’accorde, répondit-elle entre deux petites gorgées de cognac. Je vous ai fait venir parce que je voulais que vous me voyiez telle que je suis.
— Pourquoi ?
— Avant tout, vous feriez bien de renvoyer vos hommes.
— Comment le sais-tu ?…
— Vous êtes très prudent. Comme moi. Vous ne viendriez pas ici en secret sans des gardes du corps. »
Elle le considérait d’un air moqueur.
« Qu’est-ce que tu me veux ?
— Vous avez dit à vos hommes d’attendre combien de temps ?
— Une heure.
— Il me faudra davantage. Renvoyez-les. J’attendrai.
— J’espère bien. Et rhabille-toi, tu veux ? »
Il sortit et dit à Wolfgang d’attendre encore deux heures avant de venir le chercher. Il lui parla de la porte secrète, mais pas de Mary.
Quand il remonta, elle était allongée sur le lit.
« Fermez la porte, Taï-pan, je vous en prie.
— Je t’avais dit de te rhabiller.
— Je vous ai dit de fermer la porte. »
Il la claqua rageusement. Mary ôta son vêtement transparent et le laissa tomber par terre.
« Vous me trouvez séduisante.
— Non. Tu me dégoûtes.
— Vous ne me dégoûtez pas, Taï-pan. Vous êtes le seul homme que j’admire au monde.
— Si Horatio te voyait en ce moment !
— Ah ! Horatio, dit-elle énigmatiquement. Combien de temps avez-vous dit à vos hommes d’attendre, cette fois ?
— Deux heures.
— Vous leur avez parlé de la porte secrète. Mais pas de moi.
— Comment peux-tu le savoir ?
— Je vous connais, Taï-pan. C’est pourquoi je vous confie mon secret. »
Elle fit tourner entre ses doigts son verre de cognac, les yeux baissés, puis elle murmura :
« Avions-nous fini, quand vous avez regardé par le judas ?
— Par la sangdieu ! Tu ferais mieux de…
— Soyez patient avec moi, Taï-pan. Je voulais que vous en ayez la certitude.
— Je ne comprends pas.
— Je voulais que vous soyez sûr que Wang Chu était mon amant.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai des renseignements qui peuvent vous servir, Taï-pan. J’ai beaucoup d’amants. Chen Sheng vient me voir parfois. Beaucoup de mandarins de Canton. Le vieux Jin-qua, une fois. (Ses yeux se voilèrent et semblèrent changer de couleur.) Je ne les dégoûte pas. Ils aiment la couleur de ma peau et je sais leur plaire. Ils me plaisent. Il faut que je vous dise ces choses, Taï-pan. Je rembourse simplement ma dette.
— Quelle dette ?
— Vous avez fait cesser la flagellation. Vous l’avez fait cesser trop tard, mais ce n’était pas votre faute. »
Elle se leva et enfila une lourde robe de chambre.
« Je ne vous taquinerai plus. Je vous en prie, écoutez-moi, et ensuite vous ferez ce qu’il vous plaît.
— Qu’as-tu donc à me dire ?
— L’empereur a nommé un nouveau vice-roi à Canton. Ce vice-roi Ling apporte un décret impérial destiné à mettre fin à la contrebande d’opium. Il arrivera dans deux semaines, et d’ici trois semaines il aura encerclé la Concession de Canton. Aucun Européen ne pourra plus sortir de Canton tant que tout l’opium n’aura pas été livré. »
Struan éclata d’un rire méprisant.
« Je n’en crois rien.
— Si l’opium est remis et détruit, quiconque possédera des cargaisons d’opium, en dehors de Canton, gagnera une fortune, dit Mary.
— Il ne sera pas remis.
— Supposez que toute la Concession soit rançonnée pour de l’opium. Que pourriez-vous faire ? Il n’y a pas de bâtiments de guerre, ici. Vous êtes sans défense. N’est-ce
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