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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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la jeune femme près du Pont-Neuf. Désormais, Toussaint se félicite de sa prudence. Le prêtre le trompe. Il a forcément croisé Marie auparavant puisqu’elle travaillait chez le marquis de La Place. Aussi, quand la soutane réapparut dans la cuisine où Berthe lâchait prise, ce gaillard fougueux et dangereux retint-il l’irrépressible envie de sauter à la gorge du menteur. Il en avait le courage, il s’en sentait le droit. Il était cependant parvenu à juguler la voix intérieure qui lui ordonnait d’agir. Berthe n’avait pas encore tout dit. Ainsi, l’histoire progresse, mais reste incomplète. Et lui se promet de quitter l’hôtel des La Place en y mettant un point final.
    Voilà de bonnes raisons pour suivre Marolles, mais il en est une autre qui l’anime tout autant : le désir de revoir Aurore. Hélas, à présent, son bonheur est corrompu, et son rendez-vous vicié par l’idée lancinante de découvrir la vérité, d’exercer sa vengeance. Sans elle, sans Aurore, agir serait simple. Il confondrait Marolles car, depuis ce matin, il le sait lâche, fragile. Il s’en prendrait à Berthe, au marquis, s’il le faut. Possédé par la fureur, son esprit y pense sans raison, mais le courage se dérobe. Aurore de Voigny ? En se montrant intraitable, comme avec Marolles, ne se condamne-t-il pas à la perdre ? Car elle choisira son camp, et toutes les promesses écrites dans ses lettres, ces doux mots que lui portait le jésuite à Montcler, et qu’il lisait une fois seul, seront perdus. Est-il prêt à renoncer au seul beau souvenir de l’enfance ? Serrant le manche du couteau, il s’adresse à sa mère, la supplie de lui venir en aide afin de découvrir ce qu’on s’acharne à lui cacher, et, même s’il n’y croit pas, de ne surtout pas y mêler Aurore. Chaque pas vers le vestibule lui réclame un effort. Il voudrait se poser, prendre sa tête entre ses mains, y rassembler les projets qui y tournoient et lui coupent le souffle. Les tremblements reviennent, ses jambes vont le trahir. Marie – maman , ose-t-il à présent – a-t-elle caressé ces bibelots, frôlé cette cheminée, ouvert cette porte ? Il se répète ce qui, à ses yeux, semble acquis. Maman travaillait chez La Place et la logique le pousse à l’imaginer en domestique. Au service de qui ? Dans l’hôtel, qu’y a-t-il ? Un marquis veuf et trois enfants dont le plus âgé a vingt ans. Quand Toussaint y logeait, ils étaient trop jeunes pour avoir leur propre soubrette. Fut-elle leur nourrice ? Toussaint enrage ! Il ignore l’âge de sa mère quand il vint au monde. Sinon quoi ? Le jardin, les écuries… Non, ce n’est pas là qu’on trouve des femmes. Et s’il oublie les cuisines, il ne lui reste en effet que la domesticité de Philippe de Voigny, le marquis de La Place.

    — Il faudra te presser.
    Marolles s’emploie à le faire. Il saisit le jeune homme par la manche, le pousse en avant alors que le couloir se termine :
    — Je n’ai pu cacher au marquis que tu étais là et il ne désire pas que tu traînes ici.
    Pourquoi un gentilhomme montrerait-il tant d’agacement à l’endroit du fils d’une ancienne servante ? Toussaint ne peut guère y songer davantage. Le voici, en effet, dans le vestibule.
    — Je cours chercher Aurore, chuchote le jésuite. Attends-moi. Surtout, ne bouge pas !
    Doit-il patienter, jouir de l’instant qui vient et lui promet de retrouver Aurore ou s’acharner jusqu’à tirer au clair le passé ? Son esprit s’agite, les sentiments s’y battent. La conscience s’en mêle. Qu’est-ce qui est plus important ? L’image nostalgique d’une jeune enfant dont il n’a pu se défaire lorsqu’il se trouvait à Montcler ou la traîtrise du monde dont elle fait partie ? Car il n’en doute plus, ici naquit son malheur.

    Le vestibule grandiose, monumental, richement décoré de l’hôtel de La Place n’est pas fait pour calmer ce malaise. On entre et trouve, sur le côté gauche, un escalier d’honneur s’échappant vers le premier étage – et donc le cabinet de travail qui, dès la cour, laissait entrevoir par les fenêtres ses somptueux détails. L’ascension des marches y conduisant s’accomplit, si l’âge ou la bienséance l’exige, en s’aidant d’une rampe coulée dans assez de fonte pour armer de bombardes un régiment de Sa Majesté 1 . Sinon, elle sert d’apparat. Toussaint se souvient du pas de ceux qui empruntaient la noble élévation. L’allure s’y voulait

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