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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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centaines de lettres. La nuit, dans son
lit, elle s'imagine à Cap-Breton en train de les dépouiller.
Il y en a tant que Bénédicte et Sylvain doivent oublier
la cuisine et le jardin pour venir à son aide. On mange des
sandwiches, on laisse les orties pousser, on travaille jusqu'à
tard dans la nuit, sous les lampes. Et un beau matin, un beau matin -
    « À quoi penses-tu ? » demande Maman.
    « Cent
sous si tu devines. »
    « Oh,
je sais bien à qui tu penses. »
    « Tu
as gagné cent sous. »
    Mathilde
demande du vin. Il n'est que son père pour en boire aux repas.
Il garde la bouteille près de lui. Il se lève et vient
servir Mathilde. Pendant qu'il verse, la ni belle ni sœur se
croit obligée de remarquer : «  Tu bois du
vin, maintenant ? »
    Après
la soupe, un verre de vin, autant de moins dans la poche du
médecin », répond Mathilde.
    « Où
as-tu pris ça ? » dit son père, qui va
se rasseoir, sans même relever l'impudence de sa ni belle ni
fille, qu'il appelle ma bru, parce que lui aussi la trouve moche à
ne pas oser la regarder.
    Mathilde
goûte son vin et répond : “ C'est la
grand-mère de la femme du mécano du vainqueur Garrigou
sur le Tour de France 1911 qui le prétendait dans le
Vaucluse."
    “
Tiens donc", dit Mathieu Donnay, dans un silence égaré,
“ pourrais-tu me répéter ça ? ”
    “
A l'endroit ou à l'envers ? ”
    “
M'est égal. ”
    Mathilde
boit un peu de son vin et recommence :“ Garrigou,
vainqueur du Tour de France 1911, avait un mécano, le mécano
avait une femme, la femme avait une grand-mère dans le
Vaucluse qui prétendait ce que tu m'as demandé de dire
où je l'ai pris."
    Maman
dit, consternée : “ Elle est déjà
saoule."
    Paul
dit : “Matti avait onze ans en 1911. Comment peut-elle
savoir qui a gagné le Tour de France ? ”
    Mathilde
réplique : “ Oh, j'en sais bien d'autres.”
Elle boit une petite gorgée de vin. Elle s'adresse à
son frère : “Tiens, la même année,
1911, qui est le vainqueur du match de boxe poids plume Louis
Teyssier contre Louis Ponthieu ? Allez, vas-y. Un autre louis si tu devines. ”
    Paul
hausse l'épaule pour montrer qu'il ne s'intéresse pas à
la boxe, qu'il n'en sait rien.
    “Et
toi, papa ? ”
    “Je
ne parie jamais d'argent. ”
    Mathilde
finit son verre, fait claquer sa langue, et déclare : “
C'est Louis Ponthieu, dont le vrai nom est Louis de
Reygnier-Ponthieu. Le brave Louis Teyssier, plus connu sous le
diminutif de Petit Louis de la Bastille, s'est fait torcher. ”
    Elle
regarde pensivement son verre vide. Elle dit : « Cela
me fait penser qu'il faudra se procurer du vind’Anjou. C'est celui que je préfère. ”
    Ensuite,
elle soupire, elle veut aller se coucher. Sa chambre, à Paris,
est à l'étage, c'est tout un cirque pour arriver
là-haut. Mathieu Donnay a fait installer avant la guerre un
petit ascenseur sans parois qui défigure l'entrée, qui
marche une fois sur deux parce les petites pestes le détraquent,
qui met des éternités poussives à grimper trois
mètres, avec des bruits de chaînes à donner la
chair de poule. En plus, Mathilde ne peut pas s'en servir seule. Il
faut qu'en bas on bloque les roues de son fauteuil et qu'on monte
là-haut pour les débloquer, si l'on ne s'est pas
endormi avant.
    Souvent,
comme ce soir, Mathieu Donnay a plus vite fait d'emporter sa fille
dans ses bras jusqu'au lit. Il lui retire ses chaussures et ses bas.
Le reste, une fois allongée, elle s'en débrouille.
Mathilde est une contorsionniste-née. Si comme les petits
bateaux elle avait des jambes, elle pourrait gagner sa vie dans les
fêtes foraines.
    Tout
en lui massant les pieds et les chevilles, son père lui dit :
« J'ai croisé Rouvière, tout à
l'heure. Il venait de te voir. Il m'a complimenté pour ta
bonne mine. »
    « Qu'est
ce qu'il t'a raconté ? »
    « Rien.
Que les temps sont durs. Que nous aurons un parlement de fer au
deuxième tour des législatives. Mais toi ? De quoi
voulais-tu lui parler ? »
    « De
timbre-poste », dit Mathilde.
    Son
père sait depuis toujours comme elle est cachottière,
il ne s'en émeut plus.
    « Tiens
donc ; tu t’intéresses à une foule de
choses, depuis quelque temps. La bicyclette, la boxe, le vin d'Anjou,
maintenant les timbres."
    “je
m'instruis, dit Mathilde. Tu devrais essayer, toi aussi. Je suis sûre
que tu serais incapable de me citer le nom d'un seul bateau faisant
la traversée San Francisco-Vancouver en

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