Une histoire du Canada
l’église et ses évêques font certes partie. L’église offre également une autre option à ceux qui sont insatisfaits à l’égard du statut minoritaire du français ou de la difficulté d’être catholique au sein d’un pays majoritairement protestant.
néanmoins, une tension constante règne entre les groupes anglophones et francophones. Les Canadiens anglais souscrivent à l’idée d’une seule nationalité canadienne représentant les identités britannique impériale et canadienne. Les groupes ethniques sont secondaires en ce qui concerne cette identité nationale – les différences ethniques existent tout au plus pour renforcer la nationalité dans son ensemble et non pas pour la contredire12. Comme le souligne l’historien arthur silver, cette approche rend les francophones assez semblables aux Gallois ou peut-être 270
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aux irlandais13. et pourtant, les évêques canadiens irlandais remarquent eux-mêmes la différence créée par la langue – et c’est pour cette raison, qu’avant la guerre, ils associent leurs intérêts à la majorité anglophone (les protestants) du pays plutôt qu’à leurs compatriotes catholiques.
À ce moment, les Canadiens français ne sont pas en proie aux mêmes sentiments ni aux mêmes tentations psychiques que leurs compatriotes. en général, la politique nationale tient compte de cette distinction. normalement, les politiciens gomment la distinction – la technique de Laurier. Même Henri Bourassa, tout en admettant les différences présentes et réelles, prédit le jour où les francophones et les anglophones fusionneront en une seule nationalité – une fois que les Canadiens anglais auront abandonné les folies de l’empire et leurs prétentions à la supériorité raciale. au contraire de Laurier, Bourassa ne cherche ni à échapper aux contradictions entre l’idéal canadien et la réalité canadienne ni à les éviter. Contrairement aux quelques nationalistes extrêmes de cette époque, il ne s’évade pas dans des rêves de séparatisme14.
Bourassa établit plutôt sa propre voie, profitant de toutes les occasions pour expliquer aux Canadiens anglais qu’ils ont tort d’exprimer leur engagement envers l’empire en participant avec enthousiasme à la guerre. La priorité devrait être accordée aux doléances des francophones de l’Ontario et non pas aux erreurs de la distante europe et à l’agitation de l’empire. Pour toute récompense, il est victime d’une tentative d’agression sur une scène de théâtre à Ottawa en décembre 1914. il est sauvé in extremis par le directeur, qui tire le rideau15. Le public francophone auquel il fait le même discours, avec encore plus d’éclat, répond beaucoup mieux à ses déclarations. « au nom de la religion, de la liberté, et de la fidélité au drapeau britannique », écrit Bourassa dans Le Devoir , « on adjure les Canadiens français d’aller combattre les Prussiens d’europe. Laisserons-nous les Prussiens de l’Ontario imposer en maîtres leur domination… à l’abri du drapeau et des institutions britanniques16 ? »
On estime que, parmi les 619 636 hommes qui servent dans le CeC, 35 000 sont des Canadiens français, dont 14 000 qui se portent volontaires avant juin 1917. Ces chiffres ne reflètent pas vraiment la réalité compte tenu du fait que 228 000 de ces 619 000 soldats sont nés au royaume-Uni, et que dans l’ensemble, un peu plus de la moitié seulement sont nés au Canada. Comparativement aux autres provinces, le Québec reçoit moins d’immigrants en provenance de la Grande-Bretagne et compte moins d’hommes mariés (le recrutement dans les provinces maritimes, où il y a également moins d’immigrants, est moins élevé qu’en Ontario et que dans l’Ouest, mais pas aussi bas qu’au Québec). il y a plus d’agriculteurs canadiens-français comparativement aux autres groupes ethniques et partout au pays, les agriculteurs tardent à s’enrôler (ou refusent de le faire). il est néanmoins 11•Briserlemoule,1914–1930
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incontestable que, comparativement aux Canadiens anglais, le nombre de Canadiens français qui servent dans les forces armées est beaucoup moins élevé. À l’époque, ce fait provoque nombre de commentaires, en particulier dans les médias anglophones, ce qui peut contribuer à un recrutement moindre au Québec.
Le recrutement des Canadiens français n’est pas un échec total ; d’ailleurs, même quelques
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