Voyage au Congo
le pays, on n’a pas mieux, ne doivent avoir guère plus de cinq cents mètres. Mais le pays, après qu’on est longtemps demeuré sur le plateau, s’affaisse extraordinairement, et il semble de nouveau que l’on domine de beaucoup plus haut que l’on n’était monté. Un accident ridicule, un peu plus tard, m’a forcé pourtant d’attendre quemon tipoye fût réparé. Après l’interminable montée au soleil, qui m’avait mis en nage (c’était durant les plus chaudes heures du jour) je souhaitais ardemment une rivière où pouvoir me baigner. On arrive à un marigot d’eaux quasi bourbeuses ; rien à faire – et je m’occupe à le franchir d’un bond – car il n’y a pas de passerelle ; mais le ruisseau est large ; aussi, posant un pied sur un soliveau, je prends un fort élan ; mon pied glisse et je m’étale tout de mon long dans le bourbier. J’en sors couvert d’une fange infecte, et cherche à me changer aussitôt, assis sur une roche brûlante. Je trouve du linge dans un sac, un pantalon dans une cantine, mais impossible de remettre la main sur des souliers. La paire de rechange a pris les devants avec les premiers porteurs. Je dois me contenter de pantoufles parfaitement impropres à la marche – avec lesquelles je trouve le moyen de faire encore quelques kilomètres, emporté par une sorte de lyrisme ambulatoire, une ivresse de santé, à quoi le paysage doit ce mot « magnifique » que j’employais tout à l’heure.
J’écris ces lignes après dîner – la lune toute pleine luit immensément sur le village de Dahi où nous passons la nuit ; on distingue vers l’est, à peine un peu voilées de brume bleue, les hauteurs de Bouar que demain nous devrons gravir. Pas un souffle sur terre ; pas un nuage dans tout le ciel, qui paraît non point noir, mais azuré comme la mer, tant la clarté de la lune est intense. Non loin de nous les feux de nos boys, des porteurs, et plus loin, des gens du village. Ceux-ci n’avaient point fui. Il y en avait bien une centaine, s’empressant à notre arrivée, à la nuit déjà close, avec des manifestations de cannibales, si serrés contre nous qu’on suffoquait.
Bouar, 2 décembre.
Depuis plusieurs jours ont commencé les feux de brousse. On entend de loin leur crépitement, et, de plus loin encore, la nuit, on en voit la lueur ; ils versent vers le ciel des torrents de fumée. Arrivés à Bouar, hier, vers une heure. Malgré la grande chaleur, l’air est vif. Il ne semble pas que l’on ait beaucoup monté, mais, à un peu moins de mille mètres d’altitude, le poste de Bouar, distant de l’important village, domine immensément la contrée ; vers l’ouest, l’étendue que nous avons parcourue en deux jours, et, bordant l’horizon, les hauteurs où nous couchions avant-hier. Plus au sud, vers Carnot, le regard dans le bassin de la Nana fuit plus loin encore.
Hier le soleil en se couchant emplissait l’espace de rayons pourprés. Ce matin, tandis que j’écris ceci, le ciel est ineffablement pur ; mais l’air, trop chargé de vapeur pour être parfaitement limpide, étale sur les verts sombres des forêts et les verts glauques des savanes, un glacis de nacre azurée. Devant la case, un premier plan de terrain aride, crevé de-ci de-là par de gros boulders de granit ; les dernières huttes du village des gardes, qui s’étend sur la droite, derrière le poste ; quelques arbres qui, en France, seraient des châtaigniers – puis, aussitôt après, l’immensité diaprée, car le dévalement trop brusque échappe aux regards. Rien entre ces arbres, à cinquante mètres et la plaine étonnamment distante.
Bouar, 3 décembre.
Visité l’ancien poste allemand, à un kilomètre de là ; à demi ruiné par une tornade ; d’où l’on domineadmirablement le pays. Restes d’avenues de manguiers, et de cette sorte d’aloès, qui hébergent au haut de leur hampe, et parfois le long d’elle, la génération nouvelle ; de sorte que, lorsqu’on secoue cette hampe, ce ne sont pas des graines qui tombent, mais une pluie de petits aloès tout formés, avec des feuilles déjà fortes et des racines. Contre un des bâtiments du poste, quelques plants de tomates ; je reviens chargé de leurs fruits.
Ni le jasmin, ni le muguet, ni le lilas, ni la rose n’ont une odeur aussi forte et aussi exquise que les fleurs de cet arbuste auprès duquel je me suis baigné avant-hier. Corymbe de petites fleurs blanc rosé,
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