Will

« Videz-moi ça,
peut-être que ça vous aidera à délier votre langue. »
    Après avoir bu, il a soigneusement reposé la coupe sur la
table devant lui, comme s’il craignait qu’elle puisse voler en éclats.
« Je ne sais pas comment c’est arrivé, a-t-il murmuré après avoir retrouvé
la parole, mais un objet d’une grande valeur aux yeux du comte a disparu. Ils
disent que c’est la créature appelée le Roi Corbeau qui l’a dérobé.
    — Nous en avons entendu parler, lui ai-je dit pour
l’encourager à poursuivre. Qu’est-ce que le comte a fait ?
    — Il a fait des prisonniers, des hommes et des garçons.
Il les a tirés de leur lit au milieu de la nuit. Un décret a été édicté. Il va
commencer à les pendre lors de l’Épiphanie…
    — Quel fumier ! » s’est exclamé Siarles.
    L’évêque a posé de grands yeux tristes sur nous. « Un
homme ou un garçon chaque jour au coucher du soleil, jusqu’à ce qu’on lui rende
son dû. Voilà ce que le comte de Braose a dit. Comment tout cela finira, Dieu
seul le sait. »
    C’était donc ça. Quand leur tentative de nous forcer à
sortir de la forêt en mettant le feu avait échoué, ces couards de Ffreincs
s’étaient retournés contre ceux qui étaient incapables de se défendre.
« Combien ? ai-je demandé. Combien en a-t-il appréhendé ?
    — Je ne sais pas. Cinquante ou soixante, à ce qu’on
dit. » L’ecclésiastique vieillissant a posé ses deux mains sur son visage
et a secoué la tête de désespoir. « Que Dieu nous vienne en aide, a-t-il
murmuré.
    — Vous savez ce qu’on dit, a répliqué Siarles. Le Roi
Corbeau ne reprend que ce qui a été volé en premier lieu. Sains doute en est-il
de même avec ce qui a été dérobé cette fois…»
     
    « Quoi, Odo ? Le vieil évêque savait-il que le Roi
Corbeau était son mystérieux bienfaiteur ? » Je le gratifie d’un
sourire ironique. « Ai-je l’air à ce point stupide que tu penses pouvoir
me piéger si facilement ? Réfléchis-y à deux fois, mon ami scribouillard.
Will n’est pas né de la dernière pluie. » J’observe son crâne rasé de près
et ses doigts tachés d’encre. « À quoi penses-tu ?
    — Je pense qu’il devait le savoir. Un homme connaît
toujours l’identité du bienfaiteur qui veille sur lui.
    — Vraiment ? » J’exulte. « Sais-tu qui
veille sur toi, moine ?
    — Dieu veille sur moi, répond le moine avec une
hypocrisie presque insupportable.
    — Ha ! C’est l’abbé Hugo qui te garde, prêtre – et tu n’en es pas moins prisonnier que Will Écarlate. Tu
appartiens autant à Hugo que la nourriture que tu mets dans ta bouche ou le lit
dans lequel tu dors la nuit – ne crois pas un instant qu’il en est
autrement. Tu vois, notre évêque Asaph n’est pas stupide. Seul un parfait
imbécile mettrait le nez dans des affaires qui ne lui causeraient que ruine si
elles venaient à être connues.
    — Alors c’est un pécheur, conclut Odo avec dédain.
    — Un pécheur. Comment cela ?
    — Recevoir de l’argent acquis par le vol fait de
quiconque l’accepte un voleur.
    — Vraiment ? Est-ce là ce qu’on enseigne chez les
moines ?
    — Absolument. » Oh, il est si suffisant dans sa
droiture que parfois je voudrais l’étrangler avec la ceinture qui entoure sa
taille affaissée.
    « Eh bien, peut-être as-tu raison. Mais dis-moi ce qui
est le plus grave – le vol d’une bourse ou celui d’une patrie ?
    — Le vol reste le vol, répond-il d’un ton doucereux.
C’est la même chose aux yeux de Dieu.
    — Les yeux de Dieu ! Je t’en donnerais, des yeux
de Dieu ! Sors d’ici ! Nous en avons fini. Je ne parlerai plus
aujourd’hui. » Il me regarde avec une expression peinée.
« Dehors ! Laisse-moi. »
    Il se lève lentement, souffle sur le parchemin et le roule.
« Vous vous offensez là où il n’y a pas d’offense. Je ne faisais que
souligner la position de l’Église à propos du vol, qui – nous le savons
tous – est un péché mortel.
    — Voilà qui est bel et bien, mais c’est la guerre,
espèce de vil crapaud. Et la guerre transforme en voleurs tous les honnêtes
gens qui osent s’opposer à l’envahisseur cruel.
    — Il n’y a pas de guerre », déclare mon scribe aux
yeux chassieux. Son hypocrisie est infinie. « Juste une rébellion face à
la loi.
    — Sors d’ici ! » Je ramasse une poignée de
paille moisie sur le plancher humide de ma cellule et la