Will
lui lance. « Et
ne reviens pas ! »
Il se tourne pour partir, avec plus de hâte que je n’en ai
jamais vue chez lui. Mais une fois à la porte, il hésite. « Si je ne
reviens pas, c’est le bourreau que vous verrez la prochaine fois.
— Eh bien, laisse-le venir ! Il est le bienvenu.
Je préfère encore l’écouter dresser son gibet que t’entendre me parler de la
loi. Pour l’amour de la Sainte Vierge, Odo ! C’est une loi instaurée dans
le sang par un imposteur. Alors ? Qui est le saint, et qui est le
pécheur ? »
Il baisse vivement la tête au moment de passer la porte
blindée de ma cellule et s’en va furtivement dans l’obscurité. Je me renverse
en arrière et ferme les yeux.
Seigneur Jésus, laisse mes ennemis me tuer, ou
libère-moi !
CHAPITRE 20
Odo n’est pas venu aujourd’hui, et je commence à penser
qu’il m’a pris au mot. Peut-être est-il allé rapporter ma tirade à notre
perfide abbé et qu’Hugo a décidé d’en finir avec moi une bonne fois pour toutes.
Si Odo ne vient pas demain, je demanderai après lui et ferai amende honorable.
Tout prêtre boiteux qu’il soit, en vérité je ne me fie à personne d’autre dans
ce nid de vipères pour entendre ma confession. Odo me doit au moins ça, et même
s’il m’agace outre mesure, je ne doute pas qu’il saura voir en moi.
J’entends mon gardien – Gulbert ou
Gibbert ? – dire que le mauvais temps est derrière nous et que le
soleil est revenu. C’est une bonne nouvelle. Peut-être que ma fosse humide va
sécher un peu – mais ce n’est pas comme si le vieux Will projetait
d’importuner le monde encore longtemps, après tout. Même sans mon éclat
stupide, la patience de l’abbé doit atteindre ses limites, de même que sa
clémence. De toute façon, ça n’a jamais été un gars très patient.
À présent, le jour de mon exécution doit être tout proche.
Mais qu’est-ce qui se passe ?
Des tâtonnements dans le couloir qui mène à ma cellule… des
voix étouffées… et puis un bruit de pas lents, familiers.
« Bonjour, Will Écarlate, dit Odo lorsqu’il apparaît à
la porte. Dieu soit avec vous. » Sa voix est tendue, comme s’il
s’adressait à un étranger râleur.
« La journée est presque finie, mon ami », lui
dis-je pour le mettre à l’aise. Après tout, Odo est l’être le plus proche d’un
ami que j’ai dans cet endroit abandonné de Dieu. « H va falloir nous
souhaiter bonne nuit. »
Il reste dans l’étroit couloir de pierre, sans même faire
mine d’ouvrir la porte. « Vas-tu entrer, alors ?
— Non, il va faire bientôt sombre, et je n’ai pas pu
trouver de bougies.
— Je comprends.
— L’abbé ne sait pas que je suis ici. Il m’a interdit
de venir vous voir.
— Il en a assez de mes divagations et de mes radotages,
je suppose.
— Oh, non, m’assure aussitôt Odo. C’est juste qu’il est
parti et qu’il ne veut pas que je vous parle en son absence.
— Il est parti ? Où ça ?
— Je ne suis pas autorisé à le dire, répond Odo, qui
poursuit néanmoins. Rome a envoyé un émissaire inspecter certaines villes des
environs – un Espagnol, un père dominicain. L’abbé se réjouit de cette
visite ; il est parti à sa rencontre.
— Je vois. » Je passe ma langue sur mes dents et
le gratifie d’un haussement d’épaules pour bien lui montrer que je n’essaierai
pas de lui en soutirer davantage. « Bon, dans ce cas…»
Odo se mord la lèvre. Il a quelque chose d’autre à me dire,
mais ne me fait pas encore assez confiance pour parler. Je vais donc à la
pêche, voir si je peux ramener quelque chose dans mon filet. « Combien de
temps l’abbé sera-t-il parti ?
— Je ne peux pas le dire, mon seigneur. » Je
souris aussitôt. Il ne s’est pas rendu compte de ce qu’il a dit. Laissons-lui
le temps.
Il rougit enfin. « Will, je veux dire…»
Sa petite erreur me fait glousser. Il commence à me voir
comme un noble, comme son supérieur. « Pas de mal, moine.
— C’est juste qu’il y a quelques petites choses que je
ne comprends pas.
— Juste quelques-unes ? » J’éclate de rire.
« Alors tu vaux bien mieux que moi.
— Dans votre histoire, je veux dire.
— Ce n’est pas une histoire, Odo. C’est la vie d’un
homme – je te raconte ma vie. Et nous savons tous deux comment elle va
finir. Tâche de t’en souvenir. »
Il me regarde en clignant ses grands yeux doux. « Eh
bien, l’abbé a
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