Belle Catherine
Xaintrailles allaient du visage d'Arnaud à celui de Catherine.
— Ainsi, tu as pris ta décision ?
Arnaud se retourna vers lui. L'orgueil flambait sur son visage.
— Elle est prise. Nous partirons.
— C'est bien. Dans ce cas, autant tout te dire. Les nouvelles sont mauvaises et aussi bien tu les aurais apprises avant peu. Il se prépare, en Auvergne, d'étranges choses. La Trémoille réclame le comté comme son fief-Arnaud sursauta. Une lente rougeur s'étendit sur son front. Ses yeux noirs étincelèrent de colère.
— L'Auvergne ? De quel droit ?
— De celui qu'il s'arroge. Tu te souviens qu'en premières noces, il avait épousé la veuve du duc de Berry, Jeanne de Boulogne, héritière d'Auvergne. Celle-ci, en mourant, a légué son fief à son neveu, Bertrand de Latour.
— Tu me la bailles belle, grogna Montsalvy en haussant les épaules, Latour est de ma famille. Sa femme, Anne de Ventadour, est la nièce de ma mère. Nous sommes cousins et du plus proche lignage.
Parfait ! Mais La Trémoille n'en réclame pas moins le pays en tant qu'héritier de sa première femme. C'est parfaitement illégal, bien sûr, mais depuis quand se soucie-t-il de légalité ? le dire. Depuis combien de temps es-tu assez fort pour seulement monter à cheval ?
Arnaud recula, baissa la tête, mais son visage demeura contracté. Catherine eut l'impression bizarre qu'une force inconnue et menaçante venait de s'introduire dans la petite pièce paisible. Silhouette noire, aiguë, dont l'ombre, tout à coup, touchait chaque chose, s'étirait vers les angles obscurs, rejoignant les poutres peintes du plafond. C'était comme si, soudain, le routier espagnol était entré tout armé dans la maison, traînant après lui une lueur d'incendie. Elle sentit une main de glace étreindre son cœur quand Arnaud se tourna d'une pièce vers Jacques Cœur.
— Maître Jacques, pouvez-vous me donner le moyen de quitter cette ville dès demain ? Je ne puis plus demeurer.
— Si tu le désires, je peux te donner dix hommes d'armes qui te rejoindront hors de la ville, là où tu me l'indiqueras, coupa Xaintrailles.
Il bouclait de nouveau, sur le buffle de son pourpoint, la cuirasse qu'il avait ôtée un moment pour souper, enfonçait son chaperon sur sa tête, s'enroulait dans son manteau. L'heure de se séparer était venue. Catherine éprouvait de la peine à quitter ce bon compagnon, toujours si rudement fraternel. Elle le lui dit tout simplement, avec cette spontanéité qu'elle avait gardée de son enfance.
— Je vous aime bien, Jean. Revenez-nous vite !
Le rude visage tavelé de taches de rousseur grimaça ' un sourire qui cachait peut-être une larme et grommela :
— On se reverra à Montsalvy ! J'irai vous demander à souper, un soir, quand vous ne m'attendrez pas. Et je m'installerai chez vous assez de temps pour tuer quelques-uns de ces gros solitaires de la Châtaigneraie. Adieu, mes amis.
Un baiser à Catherine, une accolade à Arnaud, une révérence à Macée qui lui offrait la coupe de vin épicé de l'adieu et Xaintrailles se tournait vers Jacques Cœur qui avait saisi un flambeau pour éclairer son hôte dans l'escalier.
— Je vous suis, maître Cœur ! Encore merci de votre aide !
— Passez, Messire. Je vais vous dire où vous pourrez envoyer, dès demain, les dix hommes d'armes que vous avez promis. Car je savais, avant vous, les nouvelles de ce soir et j'ai tout préparé pour faire quitter la ville à nos amis. J'avais deviné que messire de Montsalvy voudrait partir sur l'heure, et que dame Catherine refuserait de le quitter.
Aucun muscle n'avait bougé dans la figure calme du pelletier. Pourtant, Catherine eut la sensation d'un effort sur lui-même. Il y avait, derrière l'impassibilité de Jacques Cœur, une sorte de désespoir dont peut-être lui-même n'avait pas la conscience très nette, mais qu'il refoulait, d'instinct.
L'horloge du couvent des Jacobins sonna trois coups, puis il y eut le bruit sourd de la porte qui se refermait sur Xaintrailles. Enfin, le claquement d'un pas rapide qui s'éloignait sur les pavés de la rue. Catherine et Arnaud, face à face, n'avaient pas bougé. Tous deux écoutaient partir leur ami comme si le bruit de ses pas résonnait dans leur propre cœur. Macée, alors, mit dans la main de Catherine un bougeoir dont elle venait d'allumer la chandelle.
— Venez, dit-elle, il est temps d'aller dormir. Demain, la journée sera rude !
Dormir ? Catherine, ni Arnaud n'y
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