Catherine et le temps d'aimer
intimement persuadé. Lui portait un sobre costume de velours noir, orné seulement d'une lourde chaîne de rubis, comme s'il eût voulu, par la simplicité de sa mise, rehausser encore l'éclat de sa femme. Et les bons paysans se sentaient tout attendris en les voyant se regarder sans cesse et se sourire comme de jeunes amoureux.
Au vrai, jamais Catherine n'avait été aussi heureuse. Ce jour d'octobre 1435 était certainement le plus beau de sa vie parce qu'il avait ramené autour d'elle tous ceux qu'elle aimait. En descendant la rue pavoisée de Montsalvy, sa petite main bien serrée dans celle d'Arnaud, elle songeait qu'au château l'attendaient sa mère qu'elle avait retrouvée, après tant d'années, avec une joie presque trop forte, et aussi son oncle Mathieu, bien vieilli mais encore gaillard et qui, depuis son arrivée, passait ses journées à trotter à travers tout le pays en compagnie de Saturnin, le vieux bailli, devenu son inséparable. Seule, sa sœur Loyse n'était pas venue, mais une religieuse cloîtrée n'appartient plus au monde, et celle qui était, depuis six mois, la nouvelle abbesse des bénédictines de Tart avait seulement envoyé, par un messager, sa bénédiction à l'enfant...
— A quoi penses-tu ? demanda soudain Arnaud qui regardait sa femme en souriant depuis un moment.
— A tout cela... A nous ! Est-ce que tu aurais vraiment cru que l'on pouvait être aussi heureux ? Nous avons tout : le bonheur, de beaux enfants, d'excellents amis, une famille, les honneurs et même une grande fortune...
Cela, c'était à Jacques Cœur qu'ils le devaient. L'argent du fameux diamant noir, convenablement employé par lui, était en train de se muer en une fabuleuse fortune et, tout en bâtissant son avenir, tout en commençant à réaliser le plan grandiose qu'il avait conçu pour le relèvement de son pays, le pelletier de Bourges, en passe de devenir Argentier de France, rendait au centuple à ses amis les biens qu'il en avait reçu dans les temps difficiles.
— Non, reconnut honnêtement Arnaud, je n'aurais jamais cru que ce fût possible. Mais, ma mie,, est-ce que nous ne l'avons pas un peu mérité ? Nous avons tant souffert, toi surtout...
— Je n'y pense même plus. Mon seul regret, c'est l'absence de dame Isabelle, ta mère...
— Elle n'est pas absente. Je suis certain qu'elle nous voit, qu'elle nous entend de ce lieu mystérieux où elle a dû retrouver le grand Gauthier... et puis, ne l'avons- nous pas réincarnée ?
C'était vrai. Isabelle, le bébé, ne ressemblait en rien à sa mère. Elle joignait aux yeux bleus de la grand-mère le profil impérieux des Montsalvy en général et les cheveux noirs de son père en particulier.
D'après Sara, elle menaçait même d'en avoir aussi le caractère indomptable et irascible.
— Quand on lui fait attendre, si peu que ce soit, son lait, soupirait l'ancienne bohémienne promue gouvernante, elle hurle à faire tomber les murs...
Pour le moment, la jeune Isabelle dormait d'un profond sommeil dans les bras de l'excellente femme, parmi les soies et les dentelles de sa robe précieuse. Le vacarme des hautbois, des cabrettes et des fifres qui faisaient rage autour d'elle ne paraissait pas la déranger. L'un de ses poings minuscules refermé sur le pouce de Sara, elle semblait capable de soutenir, sans même ouvrir un œil, le bruit même d'un canon.
Mais elle ne résista pas à l'assaut de deux personnages qui se ruèrent sur elle dès qu'elle apparut, avec son cortège, dans la cour du château où étaient massés serviteurs, hommes d'armes et servantes : un petit garçon de trois ans, dont les cheveux dorés brillaient dans le soleil, et une grande et grosse dame, toute vêtue de pourpre et d'or : son frère Michel et dame Ermengarde de Châteauvillain, marraine honoraire.
Malgré la défense, respectueuse mais énergique de Sara, et les cris de Michel qui, lui aussi, voulait s'emparer d'Isabelle, Ermengarde l'emporta de haute lutte et se précipita, avec son trophée qui s'était mis à hurler, dans la grande salle blanche toute tendue de tapisseries où un festin était servi. Derrière elle et sur les pas du parrain et de la marraine, tout le cortège s'engouffra dans le château qui, bientôt, retentit de cris, de rires et des accords de luth des musiciens qui devaient accompagner le repas.
Tandis que sous la direction de Josse, intendant du château, et de sa femme Marie, tout le village s'installait aux longues tables
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