Catherine et le temps d'aimer
semblait pourtant ne rien voir.
— Tiens, l'ami ! ordonna-t-il. Bois !
Le contact du pot de terre humide parut déclencher une véritable commotion chez le prisonnier. Il s'en saisit avec un grognement sourd et se mit à boire avidement, à grandes lampées qui évoquaient un animal à l'abreuvoir. La cruche fut vidée jusqu'à la dernière goutte.
Quand il n'y eut plus rien, Gauthier la lâcha et parut retomber dans sa torpeur. Catherine, le cœur serré, murmura :
— Il ne me reconnaît pas ! C'est tout juste s'il a l'air d'entendre.
— C'est la fièvre, sans doute, répondit Hans. Il est blessé à la tête.
Essayons maintenant de lui faire manger quelque chose.
Les aliments solides eurent le même succès que l'eau fraîche, mais le prisonnier n'en demeura pas moins sourd aux appels et aux supplications de Catherine. Il levait les yeux vers elle, la regardait comme si elle était transparente, puis se détournait. De ses lèvres s'échappait une sorte de chant monotone et lent, vague et inconsciente mélopée qui acheva de terrifier Catherine.
— Mon Dieu !... Mais il est fou ?
— Je ne pense pas, fit Hans d'un ton encourageant, mais je vous l'ai dit : il doit délirer. Venez, dame Catherine, pour le moment, nous ne pouvons rien de plus pour lui. Nous allons rentrer. Demain, pendant la journée, je m'arrangerai pour graisser le treuil afin qu'il ne grince plus. La nuit prochaine, peut-être, nous pourrons le tirer de là.
— Mais parviendrons-nous à lui faire quitter la ville ? Les portes semblent solides et bien gardées.
— Chaque chose en son temps ! Pour cela aussi j'ai une idée...
— Avec une bonne corde, fit Josse, qui n'avait pas sonné mot depuis que l'on était entré dans l'église, on peut toujours se laisser glisser le long d'un rempart.
— Oui... à la rigueur ! Mais j'ai peut-être mieux. Un maître d'œuvre apprend bien des choses, simplement en se servant de ses yeux. Maintenant il faut redescendre.
Avec un dernier regard à l'homme en cage, Catherine se laissa conduire vers l'escalier. Dans la nef obscure de la cathédrale, les moines poursuivaient leur oraison, n'ayant même pas soupçonné le passage des trois compagnons. La porte se referma sans bruit.
Catherine et les deux hommes se retrouvèrent dans la rue.
Lorsque l'on eut regagné la maison d'œuvre, Hans fit quelques recommandations à ses hôtes.
— Pour tout le monde, ici, vous serez des cousins à moi en route pour Compostelle, mais évitez tout de même de vous mêler à mes ouvriers. Quelques-uns sont de mon pays et s'étonneraient que vous ne connaissiez pas notre langue. A part cela, vous pouvez aller et venir comme bon vous semblera.
— Merci, répondit Catherine, mais je n'en ai pas envie. La seule vue de cette affreuse cage me rend malade. Je resterai à la maison.
— Pas moi ! dit Josse. Quand il y a une fuite à préparer, il vaut mieux ouvrir ses yeux et ses oreilles.
La journée suivante fut terrible pour Catherine. Enfermée dans la maison de Hans, elle s'efforçait de ne pas regarder au-dehors pour ne pas voir la pluie hargneuse qui tombait depuis le matin et ne pas entendre les cris de haine et les imprécations qui s'élevaient de temps en temps et dont elle ne devinait que trop la destination. Elle demeura seule tout le jour dans l'unique compagnie de la vieille Urraca, compagnie qui n'avait rien de bien réconfortant. Des lèvres rentrées de la femme s'échappaient des paroles que Catherine ne pouvait comprendre. Urraca allait et venait dans la cuisine, parlant seule comme cela arrive fréquemment à ceux qui n'entendent pas, accomplissant sa tâche avec une sorte d'automatisme. À l'heure du repas, elle poussa devant Catherine une écuelle pleine, quelques galettes à moitié brûlées et un pichet d'eau claire, puis retourna s'asseoir près du tonneau d'où elle se mit à examiner la jeune femme avec une attention qui, bientôt, l'exaspéra. Catherine finit par lui tourner le dos et par aller s'installer sous la galerie de la cour intérieure pour y attendre le retour des hommes. Josse était parti en même temps que Hans. Il voulait faire un tour en ville pour reconnaître les lieux, disait-il.
Quand il revint, vers le milieu de l'après-midi, son visage était sombre. À l'interrogation angoissée de Catherine, il répondit par un haussement d'épaules.
— L'évasion ne sera pas facile, fit-il enfin. Je crois bien qu'elle risque de provoquer une révolution. Les gens d'ici
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