Catherine et le temps d'aimer
Catherine.
— Hamza est habile ! assura don Alonso en souriant. Il a déjà opéré des blessures dues à des coups de masse ou de fléau d'armes.
— Que va-t-on lui faire ?
A la grande surprise de Catherine, ce fut le médecin lui-même qui se chargea de la renseigner, en un français à peu près impeccable :
— À l'aide de ce trépan, déclara-t-il, en indiquant une sorte de vilebrequin dont l'extrémité affectait la forme d'une flèche, je vais découper la boîte crânienne autour de la dépression, de manière à pouvoir enlever comme une petite calotte la partie lésée. Je verrai ainsi les dégâts qui ont pu être causés au cerveau et je pourrai peut-
être redresser les os endommagés. Sinon il faudra s'en remettre à la grâce du Tout-Puissant... Mais, de toute façon, le sang va couler et ce spectacle n'est pas fait pour les yeux d'une femme. Il vaudrait mieux te retirer ! conclut-il avec un rapide coup d'œil à la jeune femme.
Celle-ci se raidit et serra les poings.
— Et si je préfère rester ?
— Tu risqueras de perdre connaissance... et moi j'aurai ma tâche compliquée d'autant ! Je préfère que tu partes ! insista-t-il, doucement mais fermement.
— Cet homme est mon ami et il va subir une terrible torture sous ton couteau. Je pourrais t'aider...
— Souffrir ? Crois-tu ?... Regarde comme il dort bien !
En effet, dans les liens qui le retenaient, Gauthier dormait comme un enfant, sans bouger même le petit doigt.
— Il s'éveillera sous le couteau !
— Le sommeil qui est le sien se moque du couteau comme de la flamme. Il dort, non pas parce que je lui ai donné une drogue... mais parce que je lui ai ordonné de dormir. Et il ne s'éveillera que lorsque je lui en donnerai l'ordre !
Catherine sentit ses cheveux se dresser sur sa tête. Elle jeta au Maure un regard si chargé d'épouvante, en se signant plusieurs fois, qu'il ne put s'empêcher de rire.
— Non, je ne suis pas ce démon dont les chrétiens ont si peur !
Simplement, j'ai étudié à Boukhara et à Samarkand. Les mages, là-bas, savent utiliser une puissance, née de la volonté humaine et propagée par la lumière qu'ils nomment magnétisme, mais c'est une chose difficile à expliquer, surtout à une femme. Maintenant, je vais commencer... Va-t'en !
Tout en parlant, il immobilisait au moyen d'un lien de cuir la tête du blessé dans la position voulue, puis, saisissant dans la paume de sa main un scalpel à la lame étincelante, pratiqua rapidement une incision circulaire de la peau. Le sang perla, coula, Catherine pâlit.
Don Alonso la conduisit doucement vers la porte.
— Gagnez les appartements qui vous ont été préparés, ma fille.
Tomas vous conduira. Vous verrez le malade quand Hamza en aura terminé.
Une subite lassitude s'était emparée de Catherine. Elle se sentait la tête lourde. Se retrouvant dans l'escalier du donjon, elle suivit la maigre silhouette du page réapparu, sans trop savoir comment. Tomas marchait devant elle sans faire le moindre bruit, sans dire le moindre mot. Elle avait l'impression d'accompagner un fantôme. Parvenu devant une porte basse, en cyprès peint et sculpté, il poussa le battant, s'écarta du passage de la jeune femme.
— Voilà ! dit-il seulement.
Elle n'entra pas tout de suite, s'arrêta devant le jeune garçon.
— Revenez me prévenir lorsque... tout sera fini ! demanda-t-elle avec un sourire.
Mais le regard de Tomas demeura de glace.
— Non ! dit-il durement, je ne remonterai pas chez le Maure. C'est l'antre du démon et sa médecine est sacrilège ! L'Église interdit de faire couler le sang !
— Votre maître, cependant, ne s'y oppose pas !
— Mon maître ?
Les lèvres pâles du jeune Torquemada s'arquèrent en une intraduisible expression de dédain.
— Je n'ai d'autre maître que Dieu ! Bientôt, je pourrai le servir !
Grâces lui soient rendues ! J'oublierai cette demeure de Satan !
Agacée par le ton solennel et l'orgueil fanatique, assez ridicules chez un garçon aussi jeune, Catherine allait sans doute le rappeler à plus de respect envers don Alonso quand, brusquement, son regard s'évada de Tomas, alla chercher, dans la galerie, une silhouette qui s'avançait lentement, celle d'un moine en robe noire. Il était de haute taille. La cordelière de son vêtement serrait un corps osseux et ses cheveux gris étaient taillés en couronne rase, délimitant une large tonsure. Ce moine, à première vue, n'avait rien d'extraordinaire, si
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