C'était le XXe siècle T.1
le soupçonnais en ce qui concerne son armée de l’air ». Du coup, Lindbergh n’eut plus que sarcasmes et mépris pour la France « décadente », qu’il juge, dans son journal, un pays « corrompu et démoralisé ». Il veut bien accorder quelque estime à la Grande-Bretagne, mais la juge incapable de faire face à une guerre avec l’Allemagne : elle « peut encore être un nid de frelons , mais certainement pas la tanière du lion ».
Plus il va et plus il l’admire, cette Allemagne en plein effort, décidément la « puissance aérienne dominante du continent ». Lors d’un nouveau voyage, il accepte des mains de Goering, « sur instruction du Führer », l’une des plus hautes décorations allemandes : la croix du Mérite de l’Aigle allemand. C’était le 18 octobre 1938, peu de jours après Munich, peu de jours avant la Nuit de Cristal qui marqua, en Allemagne, le début de la grande chasse aux Juifs. Le 28 octobre, il note : « Les Allemands sont un grand peuple et je pense que leur bien-être est inséparable de celui de l’Europe. L’avenir de l’Europe dépend de la force de ce pays-là. » Hitler ? « Cet homme qu’on maudit presque partout, sauf dans son pays, tient maintenant dans sa main l’avenir de l’Europe. »
Il nous fait mal, le journal de Lindbergh. Ce laudateur de la virilité allemande ne semble pas conscient de ce que celle-ci recouvre. Lindbergh dit clairement que les puissances occidentales devraient s’allier à l’Allemagne de Hitler contre le véritable ennemi : le bolchevisme.
Quand la guerre éclatera, il ne modifiera pas son point de vue. Lui qui hait la foule et refusait toutes les interviews, va se muer en homme public. La Pologne écrasée, la France vaincue, la Grande-Bretagne seule dans son île et n’opposant que sa fragilité au colosse hitlérien : de tout cela Lindbergh n’a cure. Il adjure ses concitoyens de rester neutres. Il s’oppose violemment à Roosevelt, l’accuse de vouloir jeter les États-Unis dans une guerre sans motif. Il parle à la radio, plus écouté que Roosevelt lui-même. Il anime un comité isolationniste qui ne cesse de marquer des points. Au cours de meetings, il réunit des foules immenses.
En novembre 1940, il affirme à Joseph Kennedy – le père du futur président – que l’Angleterre a d’ores et déjà perdu la guerre et que « la meilleure chose qu’elle ait à faire est de négocier la paix dans un avenir très proche ». Aider cette Grande-Bretagne ? Ce serait « se lancer dans une aventure désastreuse pour notre pays et peut-être pour toute notre civilisation ». Hitler entre en Russie et Lindbergh commente : « Je ne pense pas que les Américains aient une idée exacte de ce que signifie vraiment l’“effondrement de l’Europe”, et c’est ce qui se produira si l’Allemagne ne gagne pas la guerre ou s’il n’y a pas de paix négociée…» Il s’en veut plus sûr que jamais : « Une Europe dominée par la Russie sera pire que celle que domine l’Allemagne. »
Les succès spectaculaires remportés par Lindbergh permettent de penser que jamais les États-Unis ne seraient entrés en guerre si, un jour, à Pearl Harbour, les Japonais n’avaient eu l’idée d’attaquer par surprise.
Reconnaissons que, dès lors, Lindbergh participera à l’effort de guerre, et largement. Bien qu’ayant démissionné – pendant sa campagne isolationniste – de son grade de colonel, il comptera parmi les organisateurs de la victoire et – quoique redevenu civil et ayant dépassé la limite d’âge – pilotera souvent lui-même durant la guerre du Pacifique, risquant allègrement la mort comme une jeune recrue. Mais il ne supporte pas la guerre en tant que telle. Il ne se sent pas un « vrai combattant » : « Je n’aime pas cette façon de bombarder et de mitrailler des objectifs inconnus. On presse un bouton et la mort commence à descendre… Le comportement de nos soldats me choque profondément. Ils n’ont aucun respect pour la mort et le courage de l’ennemi…» Il décrit les mâchoires japonaises fracturées à coups de pied « pour récupérer un peu d’or », les cadavres nippons « recouverts par toute une charge d’ordures ». Il commente : « Je n’ai jamais eu plus honte de mon peuple. »
Quand, en 1945, il visite l’Allemagne occupée, découvre les camps et les crématoires, tout ce qu’il trouve à noter, c’est ceci : « Ce que
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