Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
la gloire de son maître ; il se montra uniquement attentif à sa faveur. Il rendit l’esprit de Louis XVI incertain, son caractère irrésolu ; il l’habitua aux demi-mesures, aux changements de système, aux inconséquences de pouvoir, et surtout au besoin de tout faire par autrui et rien par lui-même.
Maurepas avait le choix des ministres. Ceux-ci se maintenaient auprès de lui, comme lui se maintenait auprès du roi. Frivole dans tout ce qui concernait le gouvernement, il ne jugeait pas les systèmes d’administration sur leur utilité, ni les ministres sur leur conduite, mais les uns et les autres sur les dispositions de la cour. Dans la crainte d’exposer son pouvoir, il éloignait du ministère les hommes puissants par leurs alentours, et nommait des hommes nouveaux qui avaient besoin de lui pour se maintenir et pour opérer leurs réformes. C’est ainsi qu’il appela tour-à-tour à la direction des affaires, Turgot, Malesherbes et Necker. Mais il fallait trop de conditions pour s’y soutenir. Si l’on entreprenait des améliorations, on mécontentait ou les privilégiés ou les courtisans ; si l’on continuait les abus, on indisposait le peuple ; si l’on obtenait les bonnes grâces du monarque, on effrayait le ministre, et c’était là autant de motifs de destitution. Aussi ces administrateurs populaires firent place à des administrateurs courtisans qui ne durèrent pas plus qu’eux.
Turgot, Malesherbes et Necker tentèrent d’utiles réformes, chacun dans la partie du gouvernement qui avait été l’objet plus spécial de ses travaux. Malesherbes, d’une famille de robe, avait hérité des vertus et non des préjugés parlementaires. Il joignait l’esprit le plus libre à la plus belle âme. L’oppression lui paraissait à la fois illégale et mauvaise. Il voulut redonner à chacun ses droits, aux accusés la faculté d’être défendus, aux protestants la liberté de conscience, aux écrivains la liberté de la presse, à tous les Français la sûreté de leur personne, et il proposa l’abolition de la torture, le rétablissement de l’édit de Nantes, la suppression des lettres de cachet et celle de la censure. Turgot, esprit ferme et vaste, caractère d’une force et d’une fermeté peu communes, tenta de réaliser des projets plus étendus encore. Il s’adjoignit Malesherbes pour compléter avec son concours l’établissement d’un système d’administration, qui devait ramener l’unité dans le gouvernement et l’égalité dans l’état. Ce vertueux citoyen s’était constamment occupé de l’amélioration du sort du peuple : il entreprit seul ce que la révolution opéra plus tard, la suppression de toutes les servitudes et de tous les privilèges. Il proposa d’affranchir les campagnes de la corvée, les provinces de leurs barrières, le commerce des douanes intérieures, l’industrie de ses entraves, et enfin de faire contribuer la noblesse et le clergé aux impôts dans la même proportion que le tiers-état. Ce grand ministre de qui Malesherbes disait, il a la tête de Bacon et le cœur de l’Hôpital, voulait, par le moyen des assemblées provinciales, accoutumer la nation à la vie publique et la préparer au retour des états-généraux. Necker, étranger, banquier, et plus administrateur qu’homme d’état, se montra moins hardi que Turgot : il avait été nommé ministre pour trouver de l’argent à la cour, et il se servit des besoins de la cour pour procurer des libertés au peuple. Il rétablit les finances au moyen de l’ordre, et fit concourir d’une manière mesurée les provinces à leur administration. Ses idées étaient sages et justes ; elles consistaient à mettre les recettes au niveau des dépenses, en réduisant ces dernières ; à se servir des impôts en temps ordinaire, et des emprunts lorsque des circonstances impérieuses exigeaient d’imposer l’avenir comme le présent ; à faire asseoir les impôts par les assemblées provinciales, et à créer, pour la facilité des emprunts, la reddition des comptes. Ce système était fondé sur la nature de l’emprunt, qui, ayant besoin de crédit, exige la publicité de l’administration, et sur celle de l’impôt, qui, ayant besoin de consentement, exige le partage de l’administration. Toutes les fois que le gouvernement n’a pas assez, et qu’il demande, s’il s’adresse aux prêteurs il leur doit son bilan, s’il s’adresse aux contribuables il
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