La Sorcière
et, d'Ollioules, la firent traîner à Aix, toujours par la maréchaussée. On couchait alors à moitié chemin dans un cabaret. Et là, le brigadier expliqua qu'en vertu de ses ordres, il coucherait dans la chambre de la jeune fille. On avait fait semblant de croire que la malade qui ne pouvait marcher, fuirait, sauterait par la fenêtre. Infâme combinaison. La remettre à la chasteté de nos soldats des dragonnades ! Quelle joie eût-ce été, quelle risée, si elle fût arrivée enceinte ? Heureusement, sa mère s'était présentée au départ, avait suivi, bon gré mal gré, et on n'avait pas osé l'éloigner à coups de crosse. Elle resta dans la chambre, veilla (toutes deux debout), et elle protégea son enfant (in-12, t. I, p. 52).
Elle était adressée aux ursulines d'Aix, qui devaient la garder et en avaient ordre du roi. La supérieure prétendit n'avoir pas encore reçu l'ordre. On vit là combien sont féroces les femmes, une fois passionnées, n'ayant plus nature de femmes. Elle la tint quatre heures à la porte, dans la rue, en exhibition (t. IV de l'in-12, p. 404). On eut le temps d'aller chercher le peuple , les gens des jésuites, les bons ouvriers du clergé, pour huer, siffler, les enfants au besoin pour lapider. C'étaient quatre heures de pilori. Cependant, tout ce qu'il y avait de passants désintéressés demandaient si les ursulines avaient ordre de laisser tuer cette fille. On peut juger si ces bonnes sœurs furent de tendres geôlières pour là prisonnière malade.
Le terrain avait été admirablement préparé. Un vigoureux concert de magistrats jésuites et de dames intrigantes avait organisé l'intimidation. Nul avocat ne voulut se perdre en défendant une fille si diffamée. Nul ne voulut avaler les couleuvres que réservaient ses geôlières à celui qui chaque jour affronterait leur parloir, pour s'entendre avec la Cadière. La défense revenait, dans ce cas, au syndic du barreau d'Aix, M. Chaudon. Il ne déclina pas ce dur devoir. Cependant, assez inquiet, il eût voulu un arrangement. Les jésuites refusèrent. Alors il se montra ce qu'il était, un homme d'immuable honnêteté, d'admirable courage. Il exposa, en savant légiste, la monstruosité des procédures. C'était se brouiller pour jamais avec le Parlement, tout autant qu'avec les jésuites. Il posa nettement l'inceste spirituel du confesseur, mais, par pudeur, ne spécifia pas jusqu'où avait été le libertinage. Il s'interdit aussi de parler des girardines , des dévotes enceintes, chose connue parfaitement, mais dont personne n'eût voulu témoigner. Enfin, il fit à Girard la meilleure cause possible, en l'attaquant comme sorcier . On rit. On se moqua de l'avocat. Il entreprit de prouver l'existence du Démon par une suite de textes sacrés, à partir des Évangiles. Et l'on rit encore plus fort.
On avait fort adroitement défiguré l'affaire en faisant de l'honnête carme un amant de la Cadière, et le fabricateur d'un grand complot de calomnies contre Girard et les jésuites. Dès lors, la foule des oisifs, les mondains étourdis, rieurs ou philosophes, s'amusaient des uns et des autres, parfaitement impartiaux entre les carmes et les jésuites, ravis de voir les moines se faire la guerre entre eux. Ceux que bientôt on dira voltairiens sont même plus favorables aux jésuites, polis et gens du monde, qu'aux anciens ordres mendiants.
Ainsi l'affaire va s'embrouillant. Les plaisanteries pleuvent, mais encore plus sur la victime. Affaire de galanterie, dit-on. On n'y voit qu'un amusement. Pas un étudiant, un clerc, qui ne fasse sa chanson sur Girard et son écolière, qui ne réchauffe les vieilles plaisanteries provençales sur Madeleine (de l'affaire Gauffridi), ses six mille diablotins, a peur qu'ils ont du fouet, les miracles de la discipline qui fit fuir ceux de la Cadière. ( Ms. de la Bibl. de Toulon .)
Sur ce point spécial, les amis de Girard le blanchissaient fort aisément. Il avait agi dans son droit de directeur et selon l'usage ordinaire. La verge est l'attribut de la paternité. Il avait agi pour sa pénitente, « pour le remède de son âme ». On battait les démoniaques, on battait les aliénés, d'autres malades encore. C'était le grand moyen de chasser l'ennemi quel qu'il fût, démon ou maladie. Point de vue fort populaire. Un brave ouvrier de Toulon, témoin du triste état de la Cadière, avait dit que le seul remède, pour la pauvre malade, était le nerf de bœuf.
Girard, si bien
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