L'âme de la France
Prussiens – crée des divisions politiques profondes, des cicatrices qui marqueront longtemps l'âme de la France.
L'on s'accusera mutuellement de barbarie, de faire le jeu du Prussien, et toutes les oppositions anciennes – monarchistes contre républicains, patriotes contre « parti de l'étranger » – sont confirmées par cette impitoyable « guerre civile » qui voit Paris perdre au terme des combats, en mai, 80 000 de ses habitants.
Cet événement devient une référence pour confirmer les accusations réciproques. Il est un mythe que l'on exalte, comme un modèle à suivre, avec ses rituels – ainsi le défilé au mur des Fédérés, chaque 28 mai.
Il est la preuve de l'horreur et de la barbarie dont sont capables et coupables ces « rouges » qui ont tenté d'incendier Paris.
La Commune s'inscrit dans la longue série des « guerres civiles » françaises – guerres de Religion, Révolution avec ses massacres de Septembre, la Vendée, la guillotine, les terreurs jacobine ou blanche, les journées révolutionnaires et les révolutions de 1830 et de 1848 qui en sont l'écho, les journées de juin – dont le souvenir réverbéré rend difficile toute politique apaisée.
Avec de telles références mythiques, le jeu démocratique aura du mal à être considéré comme possible, comme le but à atteindre.
Les oppositions sont d'autant plus marquées que le parti de l'Ordre s'inscrit lui aussi dans une histoire longue.
Thiers, qui est désigné par les élections du 8 février 1871 « chef du pouvoir exécutif du Gouvernement provisoire de la République », a été l'un des ministres de Louis-Philippe. En février 1848, il a conseillé que l'on évacue Paris, abandonnant la capitale à l'émeute pour la reconquérir systématiquement et en finir avec les révolutionnaires. Puis il a été le mentor de Louis Napoléon, qu'il a cru pouvoir mener à sa guise et qu'il a fait élire président de la République en 1848.
En 1871, face à la Commune, Thiers applique son plan de 1848 avec une détermination cynique. L'Assemblée s'installe à Versailles pour bien marquer ses intentions : Paris doit être soumis à un pouvoir qui, symboliquement, siège là où le peuple parisien avait imposé sa loi à Louis XVI et à Marie-Antoinette dès octobre 1789.
En 1871, c'est la revanche de Versailles : versaillais contre communards, province contre Paris, l'armée fidèle contre les émeutiers, parti de l'Ordre contre révolutionnaires.
Et le pays dans sa majorité soutient l'entreprise de Thiers.
Il faut extirper les rouges de l'histoire nationale en les fusillant, en les déportant.
Au terme de la Semaine sanglante, le 28 mai 1871, le mouvement révolutionnaire est brisé pour une vingtaine d'années.
La France des épargnants fait confiance à Thiers.
Les emprunts lancés pour verser aux Prussiens les cinq milliards de francs-or prévus par le traité de paix signé à Francfort le 10 mai 1871 sont largement couverts.
La France est riche.
Les troupes prussiennes évacueront le pays à compter du 15 mars 1873. Thiers est le « libérateur du territoire ».
La France est calme.
Elle est prête à accepter une monarchie constitutionnelle. Mais alors que la majorité de l'Assemblée est monarchiste, les deux branches de la dynastie – la branche aînée, légitimiste, avec le comte de Chambord ; la branche cadette, orléaniste, avec le comte de Paris – ne peuvent s'entendre.
Le pays « entre ainsi dans la République à reculons ».
Thiers est élu président de la République le 31 août 1871. Mais les institutions ne sont pas fixées. Et lorsque, constatant la division des monarchistes, Thiers se rallie à la République en précisant : « La République sera conservatrice ou ne sera pas », la majorité monarchiste l'écarte, le 24 mai 1873, préférant élire comme nouveau président de la République le maréchal de Mac-Mahon, l'un des chefs de l'armée impériale, l'un des vaincus de la guerre de 1870, l'un des responsables de la débâcle !
Mais le mérite de Mac-Mahon est de n'être pas républicain. L'Assemblée peut donc, puisque le comte de Chambord refuse de renoncer au drapeau blanc, ce symbole de l'Ancien Régime, voter la loi qui fixe à sept ans la durée du mandat du président de la République, en espérant que ce délai sera suffisant pour que les prétendants monarchistes se réconcilient, acceptent les principes d'une monarchie
Weitere Kostenlose Bücher