Le Coeur de la Croix
autoproclamé –, avait décidé d’en finir une bonne fois
pour toutes avec le Saint-Sépulcre. Mais une force mystérieuse ôtait toute
vigueur aux ouvriers qui s’attaquaient à ses fondations. Les infidèles
chuchotaient : ils entendaient une voix à l’intérieur du tombeau.
Jésus ? Al-Hakim, qui n’avait peur de rien, abattit sa masse sur la porte
du tombeau. Un cri s’éleva. On aurait dit parole humaine. Al-Hakim blêmit,
annonça la fin des travaux, puis rentra en Égypte, où il disparut en 1021.
Si à Jérusalem les chrétiens remerciaient la Providence
d’avoir épargné la Sainte Croix en permettant qu’elle fût à Constantinople, à
Constantinople, justement, le nouveau basileus des Roums disait que, si Dieu
avait autorisé un infidèle à s’en prendre au Saint-Sépulcre, c’était
précisément parce que la Sainte Croix ne s’y trouvait plus. Il obtint des
descendants d’al-Hakim l’autorisation de réparer l’église – à condition de
financer l’opération lui-même et de n’employer que des Mahométans. Devant
l’importance des frais, Constantinople se tourna vers Rome, qui refusa de
participer au financement des travaux. Patriarches et papes s’envoyèrent bulles
et diplomates, aussitôt mis en pièces. Pour finir, en 1054, les deux Églises
s’excommunièrent l’une l’autre. La même année, des astrologues chinois
découvraient dans les cieux une nouvelle étoile.
La chrétienté était en très mauvais état le jour où la
Sainte Croix fut restituée au Saint-Sépulcre enfin rebâti. Constantinople,
chargée de l’entretien des lieux, augmenta les tarifs. Il faut
rembourser ! Pour une visite de l’église ? Deux dinars. Pour un simple
coup d’œil à la croix ? Deux dinars encore. Combien pour
l’embrasser ? Cent dinars, le double si le pèlerin venait de Rome. La
visite avait lieu la nuit. Les visiteurs n’avaient droit qu’à un petit baiser,
puis repartaient chez eux – le paradis en poche.
À Rome, le pape était furieux. « La croix, disait-il,
n’est pas un objet de commerce. » Autour de lui, tous se taisaient,
certains que Dieu leur donnerait un jour les moyens de punir Constantinople. Et
en effet, quelques années plus tard, les Seldjoukides envahirent l’Empire
byzantin. « À l’aide ! » implora le basileus en envoyant une
cargaison de pierres précieuses à Rome. La colère du pape s’apaisa, et c’est
dans le plus grand calme qu’il annonça : « Oui, nous aiderons notre
sœur orientale… Mais pas tout de suite… »
En 1071, les Seldjoukides défirent l’armée byzantine à la
bataille de Mantzikert. La Palestine était menacée. En 1089, Tyr tomba aux
mains de l’ennemi, et, cette fois-ci, des pèlerins furent attaqués, massacrés
ou vendus comme esclaves. En 1095, Rome réagit enfin.
Urbain II, Prince des Apôtres, Très Saint Père,
Successeur de Pierre, Serviteur des serviteurs de Dieu, etc., demanda aux
souverains chrétiens de prendre la croix. Il était temps de défendre le tombeau
du Christ et d’en chasser les infidèles. Et le pape de promettre indulgences
plénières et rémission des péchés, avant de conclure son prêche par un
vigoureux : « Dieu le veut ! »
Ce furent d’abord les pauvres qui partirent, les petites
gens. Ils suivirent Pierre l’Ermite et Gautier Sans Avoir, s’étonnant chaque
jour de la distance à laquelle le Seigneur avait placé Jérusalem. La route
était semée d’embûches. Pour s’aider à avancer, ils entonnaient des
cantiques : Que le Saint-Sépulcre soit notre sauvegarde ! Malgré
cela, beaucoup succombaient.
À Constantinople, ils furent rejoints par Godefroi de
Bouillon et d’autres chevaliers. Ensemble, ils s’emparèrent de nombreux
territoires, où ils fondèrent princées et comtés. Jérusalem, leur futur
royaume, n’était plus qu’à quelques jours de marche. Ils progressèrent
vaillamment, nouèrent et dénouèrent des alliances, corrompirent, trahirent,
tuèrent et prièrent.
Enfin, ils arrivèrent à Jérusalem et l’assiégèrent.
Le 15 juillet 1099, après plus d’un mois de combats,
Jérusalem redevint chrétienne. Son baptême se fit dans le sang : « Le
meilleur des ciments », assura Malecorne, l’un des prêtres présents.
Les chevaliers se mirent sans attendre en quête de la Vraie
Croix, que les chanoines du Saint-Sépulcre avaient cachée dans la maladrerie de
Saint-Lazare. Les chanoines avaient cru que nul ne viendrait
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