Le temps des poisons

Louis les laissa attendre quelques instants, tiraillant la couverture en peau d'agneau qui lui couvrait les genoux.
    —
    Plus tard dans la journée, commença-t-il, vous partirez pour l'Angleterre. Vous êtes mes émissaires à la cour d'Edouard d'York.
    Avez-vous reçu mes instructions ?
    —
    Pour nous rendre à Londres ? s'enquit Cavignac.
    —
    Non, à Walmer, sur la côte du Kent, précisa le roi comme s'il parlait à son bonnet. Lord Henry Beau- champ, votre vieil adversaire, le gardien du Sceau privé, vous recevra en son manoir. Il y sera rejoint par un Irlandais, membre de la maison d'Edouard, Colum Murtagh.
    —
    Ah ! s'exclama Sanglier en dégrafant sa cape qu'il laissa choir sur le sol.
    —
    Vous avez déjà rencontré Murtagh ? questionna Louis en souriant.
    —
    En effet, dit Sanglier. C'est un soldat, un mercenaire, gardien des écuries royales à Kingsmead, aux portes de Cantorbéry. J'ai déjà eu l'occasion d'en parler, Majesté.
    —
    Est-il dangereux ?
    —
    Il peut l'être.
    —
    Le craignez-vous ?
    —
    Je redoute sa promise, Kathryn Swinbrooke. Elle est apothicaire, engagée par la Cour, par l'archevêque et l'échevinage de Cantorbéry, pour enquêter en certaines matières.
    Le roi agita la main.
    —
    J'ai ouï parler d'elle. J'ai aussi entendu dire qu'elle et Murtagh allaient se marier, mais je ne vois pas comment ils pourraient interférer dans vos plans. Vous devez gagner l'Angleterre. Lord Henry sera votre hôte. Servez-vous de ce que vous savez pour vous assurer qu'ils resteront hors de France et ne procureront ni aide ni soutien à la Bourgogne.
    Louis se leva tout à coup et ses féaux l'imitèrent. Il se dirigea vers un coffret aux belles sculptures et à triple serrure. Il prit le petit anneau de clés pendu par un crochet à sa ceinture, ouvrit les serrures, souleva le couvercle et sortit un coffret similaire mais plus petit. Ce n'était guère qu'une cassette carrée et vernie. Sanglier remarqua les trois clés miniatures insérées dans leurs serrures. Louis vérifia d'abord qu'elles fonctionnaient bien avant de les retirer et d'en distribuer une à chacun de ses envoyés. Puis il tendit la cassette polie à Sanglier.
    —
    Mettez-la en sécurité. Faites savoir aux Anglais que vous pourriez bien la détenir. Edouard d'Angleterre donnerait tous ses joyaux pour l'obtenir.
    La perplexité de son interlocuteur fit rire Louis.
    —
    S avez-vous ce qu'elle contient ?
    Sanglier fit un geste de dénégation.
    —
    Le livre des codes anglais, chuchota le roi de peur que sa voix ne porte plus loin qu'elle n'aurait dû. Ce volume nous permettra de comprendre tout message envoyé par Édouard d'Angleterre à ses agents en France et de connaître les véritables noms et les déplacements de ces hommes.
    —
    Où... ? bégaya Sanglier. Votre Majesté, comment vous l'êtes-vous procuré ? Nous l'avons cherché...
    —
    Peu importe, coupa Louis en caressant la cassette comme s'il s'était agi d'un oiseau dressé pour la chasse. Arrangez-vous pour qu'Édouard d'Angleterre apprenne que vous l'avez. En fait, je l'ai déjà laissé entendre.
    Louis suçota ses dents et explora de la langue ses gencives douloureuses. Il observa ses trois émissaires. Ni le trouble de Delacroix ni le regard prompt qu'avaient échangé Sanglier et Cavignac ne lui avaient échappé. Il y avait là quelque mystère mais il ne pouvait le saisir. Après tout, c'était Sanglier qui avait annoncé que le vrai livre des codes, ainsi que son gardien, l'Anglais Marshall, avaient disparu le long de la Seine. Le roi soupira et désigna le plateau chargé de coupes de vin sur la table près de l'estrade.
    — Rafraîchissez-vous, goûtez ce vin, c'est le meilleur que la Bourgogne puisse offrir. Je dois retourner à la pêche.
    Les trois hommes s'inclinèrent en hâte quand le souverain, fredonnant une hymne, quitta la pièce en s'enquérant à voix haute auprès de son écuyer d'une prise éventuelle. Dès que la porte fut close, ils se détendirent. Delacroix versa le vin dans trois gobelets et le servit. Ils se saluèrent mutuellement, se réchauffèrent les doigts au-dessus du plateau de braises et, comme des enfants pressés d'ouvrir un cadeau, insérèrent leurs clés dans la cassette. Sanglier les manœuvra et leva le couvercle. Un petit livre, qui ressemblait à un psautier avec sa couverture rutilante enchâssée de pierres précieuses, se trouvait à l'intérieur. Il ouvrit les fermaux et eut le souffle coupé. Les