Les révoltés de Cordoue
main, leva le visage
vers elle, comme s’il lisait dans ses pensées. Rafaela serra d’une main celle
de son fils tout en caressant de l’autre ses deux autres enfants qui
sommeillaient, accrochés aux sacs que transportait la mule.
— L’homme que vous cherchez est là-bas, señora, annonça
l’un des marins en indiquant la direction de la Torre del Oro, près d’un groupe
de chevaux.
Fatima se leva du banc où elle était restée assise.
— Tu es sûr ?
— Certain. J’ai parlé avec lui. Hernando Ruiz, de
Juviles. Il m’a dit qu’il s’appelait comme ça.
Elle sentit un frisson parcourir son corps.
— Lui as-tu dit… ? demanda-t-elle d’une voix
tremblante. Lui as-tu dit que quelqu’un le cherchait ?
Le marin hésita. Un Cordouan lui avait montré un homme avec
des chevaux, de dos, et le marin s’était contenté d’attraper le Maure par les
épaules et de l’obliger à se retourner brusquement. Il lui avait alors demandé
son nom et, quand il avait entendu sa réponse, il était immédiatement revenu
vers sa maîtresse pour la récompense promise.
— Non, répondit-il.
— Amène-moi jusqu’à lui, ordonna Fatima.
Le marin lui obéit et bientôt il lui désigna un homme :
c’était ce Maure, là-bas, de dos, qui parlait avec un infirme appuyé sur des
béquilles. Entre eux ne cessaient d’aller et venir des tas de gens chargés de
sacs et de malles. Fatima, tremblante, s’arrêta un instant.
Elle attendit qu’il se retourne : elle n’osait faire un
pas de plus. Le marin se tenait immobile à ses côtés. Qu’arrivait-il à la
señora ? Il se mit à gesticuler et désigna de nouveau le Maure. Miguel,
qui était face à eux, l’aperçut et reconnut l’homme qui venait de parler avec
Hernando. Il fit un mouvement de tête dans sa direction.
— On dirait que quelqu’un vous cherche, seigneur.
Hernando se retourna, lentement, comme s’il pressentait
quelque chose. Parmi la foule il distingua le marin, debout, à quelques mètres.
Une femme était avec lui… Il ne réussit pas à distinguer son visage car des
personnes s’interposèrent entre eux à ce moment-là. Puis il vit deux yeux noirs
rivés sur lui. Le souffle lui manqua… Fatima ! Leurs regards se croisèrent
et se fixèrent l’un sur l’autre. Un incontrôlable tourbillon de sensations
assaillit Hernando et le paralysa. Fatima !
Le petit Muqla dut tirer sur la main de sa mère pour
l’obliger à ralentir quand cette dernière accéléra le pas à la vue des remparts
de Séville. Les Maures avaient encore réduit leur allure déjà si lente !
On entendait des soupirs de part et d’autre. L’effrayante complainte d’une mère
s’éleva au-dessus du bruit des sabots des montures et des milliers de pieds qui
se traînaient. Un vieillard qui marchait à côté d’eux hocha la tête et fit
claquer sa langue, juste une fois, comme s’il était incapable d’exprimer
autrement sa douleur.
— Avancez ! cria un soldat.
— Plus vite ! ordonna un autre.
— Hue, sales bêtes ! lança un troisième pour les
humilier.
Les soldats éclatèrent de rire. Rafaela regarda son fils.
« Continuons avec eux ! » sembla lui conseiller ce dernier en
silence, « ne nous découvrons pas maintenant. Nous allons y
arriver ! » lui prédit-il avec un sourire vite effacé. Rafaela ne
voulait pas se laisser envahir par le désespoir qui suintait des rangées de
Maures. Elle lâcha la main de Muqla et secoua tendrement Musa.
— Allez, mon amour, réveille-toi, dit-elle avant de
s’apercevoir du regard surpris que lui adressait le muletier.
Rafaela hésita, puis fit de même avec Salma.
— Nous sommes arrivés ! susurra-t-elle à l’oreille
de la petite fille, cachant son impatience au muletier.
L’enfant bredouilla quelques mots, ouvrit les yeux mais les
referma aussitôt, vaincue par la fatigue. Rafaela la souleva de la mule, la
prit dans ses bras et la serra contre elle.
— Ton père nous attend ! murmura-t-elle,
dissimulant cette fois ses lèvres dans les cheveux emmêlés de la fillette.
Fatima fut la première à rompre l’enchantement. Elle ferma
les yeux et se pinça les lèvres. « Enfin ! » sembla-t-elle dire
à Hernando par cette attitude. Puis elle marcha vers lui, très lentement, ses
yeux noirs pleins de larmes.
Hernando ne pouvait la quitter du regard. Trente ans n’avaient
pas réussi à flétrir sa beauté. Les souvenirs ressurgirent par milliers et
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