Les révoltés de Cordoue
le
firent trembler comme une feuille juste au moment où elle arriva à sa hauteur.
— Fatima ! murmura-t-il.
Elle le regarda pendant quelques instants, caressant du
regard son visage, si différent de celui dont elle se souvenait. Les années
avaient passé, mais le bleu de ses yeux restait celui dont elle était tombée
amoureuse dans les Alpujarras.
Elle n’osait le toucher. Elle dut retenir ses mains pour ne pas
se jeter à son cou et couvrir son visage de baisers. Quelqu’un qui passait la
poussa involontairement et Hernando la rattrapa pour l’empêcher de tomber. Elle
sentit sa main sur sa peau et frissonna.
— Le temps a passé, chuchota-t-elle finalement. Beaucoup
de temps.
Il lui tenait toujours la main, cette main qui tant de nuits
l’avait caressée.
Avec un soupir, Fatima fit un pas en avant et ils tombèrent
dans les bras l’un de l’autre. Pendant quelques instants, au cœur du tumulte
qui les entourait, tous deux restèrent immobiles, à l’écoute de leur
respiration, envahis par d’innombrables souvenirs. Il respira le parfum de ses
cheveux, la serra fortement, comme s’il voulait la retenir pour toujours.
— Combien j’ai rêvé… ! commença-t-il à lui dire à
l’oreille.
Mais Fatima ne lui permit pas de continuer. Elle jeta la
tête en arrière et l’embrassa sur la bouche, d’un baiser ardent et triste,
auquel il répondit en glissant ses mains jusqu’à sa nuque.
Miguel et les enfants, sortis d’entre les chevaux,
observaient la scène avec stupéfaction.
La colonne de déportés de Castro del Río contourna les
remparts de la ville et dépassa le corps de garde qui surveillait les accès à
l’Arenal de Séville. Les Maures se dispersèrent parmi la foule et Rafaela
s’arrêta pour se faire une idée du lieu. Elle savait ce qu’elle devait
chercher. Seize chevaux ensemble se repéraient facilement, même au milieu de
tant de gens ! Hernando et les enfants seraient avec eux.
— Garde l’œil sur ton frère et ta sœur et restez à côté
de moi. N’allez pas vous égarer, dit-elle à Muqla en se dirigeant vers une
charrette à quelques mètres de là.
Et, sans demander l’autorisation, elle grimpa sur le siège
du cocher.
— Hé ! cria un homme qui voulut la retenir.
Mais Rafaela, qui avait prévu cette éventualité, se
débarrassa de lui avec détermination.
— Qu’est-ce que vous faites ? insista le
charretier en tirant sur sa robe.
C’était juste une question de secondes. Elle résista au
charretier, se mit sur la pointe des pieds et parcourut l’endroit du regard.
Seize chevaux. « Cela ne doit pas être bien difficile », murmura
Rafaela. L’homme décida de monter à son tour, mais Muqla réagit et s’accrocha à
ses jambes. Des curieux commencèrent à se regrouper devant la scène : un
charretier qui essayait de se libérer d’un petit morveux à coups de pied.
« Seize chevaux ! » se répétait Rafaela. Elle entendait les cris
de l’homme et les efforts que déployait son petit garçon pour l’arrêter.
— Là ! se surprit-elle soudain à crier.
Les chevaux apparaissaient nettement au pied d’une tour
resplendissante qui se dressait sur la rive du fleuve, à l’extrême opposé de
l’endroit où ils étaient.
Elle sauta du siège comme une jeune fille. Elle ne sentit
même pas la douleur de ses pieds lorsqu’ils heurtèrent le sol.
— Merci, brave homme, dit-elle au charretier. Laisse
tranquille ce monsieur, Muqla.
Le garçon lâcha prise et, anticipant un autre coup de pied,
partit en courant.
— Allons-y, les enfants !
Elle se fraya un passage parmi les curieux et avança avec
élégance en direction de la tour, un sourire aux lèvres, esquivant hommes et
femmes ou les écartant rudement quand il le fallait.
— Nous avons réussi, mes enfants, répétait-elle.
Elle avait repris les petits dans ses bras. Muqla
s’efforçait de suivre ses pas.
— Je ne veux plus être séparée de toi, s’exclama Fatima
après ce long baiser.
Ils étaient toujours collés l’un à l’autre, se dévorant du
regard, posant les yeux sur chaque ride de leurs visages, essayant de les
effacer. Pendant quelques instants ils furent de nouveau le jeune muletier des
Alpujarras et la jeune fille qui l’attendait. Le temps jadis semblait s’être
évanoui. Ils étaient là, tous deux, ensemble ; le passé se dissipait,
emporté par l’émotion des retrouvailles.
— Accompagne-moi à
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