L'honneur de Sartine
c’est du Balbastre, votre ami !
Il donna à nouveau un coup de pied dans le meuble, ce qui lança le mécanisme à jeter deux notes ultimes.
– Monseigneur, dit Nicolas après un temps d’hésitation, laissez-moi vous dire que…
– Ne dites rien. Durant toutes ces années vous avez été… le meilleur… celui qui… proche et j’ai… quelque peine à…
La voix était à peine audible.
– … le sentiment de n’avoir pas toujours répondu à… à…
Il se retourna vers la muraille.
–… Allez, monsieur le marquis, serviteur. Nous nous reverrons sans doute.
Nicolas se retira en silence après un dernier regard ; il ne vit dans la grande pièce où le crépuscule jetait ses lueurs qu’une silhouette voûtée qui se découpait comme une ombre sur la lueur du foyer. Le cœur serré, il marcha longtemps dans les rues, puis sur les rives du fleuve. Il s’y revit vingt ans auparavant dans la joie d’une faveur et d’une carrière à ses prémices. Ce jour-là, il avait appris de la
bouche du roi qu’il était le fils du marquis de Ranreuil. Aujourd’hui il se sentait à nouveau orphelin et mesura tout ce que, dans la balance du destin, il devait à Gabriel de Sartine. Un vent mauvais se levait, faisant tourbillonner les feuilles mortes. Sans les voir, il entendait crier les corbeaux de la terrasse des Tuileries. Une averse éclata, brutale.
De retour rue Montmartre, la bonne odeur qui sortait de la boulangerie le rasséréna. Havre de paix, l’hôtel de Noblecourt l’accueillit. Marion sommeillait près de l’âtre, Mouchette sur ses genoux, Poitevin transvasait des bouteilles de vin et Catherine surveillait un poêlon sur son potager. On entendait au premier une allègre mélodie jouée à la flûte à laquelle se mêlait, par instants, le bourdon d’un aboiement de Pluton.
La cuisinière le regarda avec attention et, lui trouvant sans doute cet air désespéré qu’elle avait observé chez tant de soldats les soirs de bataille perdue, le poussa par les épaules sur une chaise, s’agenouilla pour lui tirer ses bottes. La chose faite, elle emplit un bol du bouillon qui réduisait à petit feu et lui tendit. Il leva les yeux vers les siens et ce qu’il y lut le réchauffa avant même que le liquide n’incendie sa poitrine. Sa pensée vola vers ceux qu’il aimait, Louis rendu à lui-même, Antoinette au milieu des périls, Naganda en fortune de mer et Aimée à la fois si proche et pourtant si insaisissable. Le bonheur n’était-il donc que quelques instants dérobés à l’absence ?
La porte de l’office gémit sous les coups de la bourrasque d’automne. À l’écurie les chevaux inquiets s’ébrouèrent. Au-dehors la nuit comme le siècle se faisait menaçante.
La Bretesche – Bissao
Octobre 2009-Avril 2010
Remerciements
Mon affectueuse gratitude va tout d’abord à Isabelle Tujague qui, avec un soin exceptionnel, continue à procéder à la mise au point de mon texte.
À Monique Constant, conservateur général du patrimoine, pour ses conseils et ses encouragements dans cette traversée au long cours.
À mon éditeur et à ses collaborateurs pour leur confiance, leur amitié et leur soutien.
À mes lecteurs si fidèles.
À tous merci !
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